Critique album : SPEED – 4 COLORS, le come-back d’un groupe de légende

- Dis Papy, raconte-nous une histoire ! Tu sais, une de ces histoires sur la musique du siècle dernier de quand on était pas né et que t’étais moins vieux !
- Oh les enfants, n’en avez-vous pas marre des vieilles histoires de Papy ? J’ai l’impression de radoter… Laissez-moi réfléchir… Tiens ! Il me vient une idée. Une histoire que  je crois, à ma grande surprise, n’avoir jamais racontée à personne, et pourtant, dieu sait qu’elle est populaire ! Allez, venez vous assoir sur les genoux de Papy mes petits. Attends, non, pas comme ça, tu tires sur ma couche, ça me pince, ça fait mal ! …Voilà, c’est mieux. Allez… Il était une fois…

…un groupe de quatre filles qui s’entraînait dans une école de chant, de danse et de comédie, sur l’île d’Okinawa au Japon. La même école que celle d’où venait Namie Amuro. Vous connaissez Namie n’est-ce pas, j’en parle souvent !
- C’est celle qui est encore plus vieille que toi et qui s’habille comme Frigide Barjot ?
- C’est elle oui, tout à fait. Bon, là je vous parle d’un temps que les fans de kpop ne peuvent pas connaître… 1996, au siècle dernier donc. Cette année là on a demandé à ces quatre filles d’aller à Tôkyô, la capitale, pour une émission TV. Suite à quoi elles sont devenues un groupe à part entière, qu’on a appelé SPEED, et qui a signé avec la maison de disques TOYS FACTORY. Dans ce groupe toutes les filles avaient le rôle de chanteuse et danseuse, mais il y en a deux qui étaient plutôt choristes : Takako, qui est pas très jolie mais que les japonais aiment bien, je ne sais pas trop pourquoi; et Hitoe, clairement la meilleure danseuse, avec ses coupes de cheveux toujours un peu excentriques. Les deux autres sont les chanteuses lead : Eriko, qui braille plus qu’elle ne chante, mais alors très, très faux; et ma préférée : hiro.
- Pourquoi c’est ta préfére hiro ?
- Bonne question ! Peut-être parce qu’elle a un joli regard, très doux, et un air un peu plus intelligent que les trois autres, avec un sourire en coin que j’ai toujours trouvé mignon; et puis elle a un petit accent dans la voix qui lui donne de la personnalité, en plus d’être la seule à chanter juste dans le groupe… En tout cas, ces quatre filles ont eu du succès tout de suite, leur premier single s’est vendu à plus de 600.000 exemplaires, le suivant a largement dépassé le million, et le troisième a fini n°1, comme beaucoup d’autres ensuite.
- C’est beaucoup un million de disques !
- Oh oui c’est beaucoup, pour vous donner un exemple, le deuxième single de SPEED s’est vendu à peu près 25 fois plus que le dernier maxi-single d’Ayumi, vous voyez ?
- Oh ben ça fait pas tant que ça alors si ?
- Non c’est vrai, et pour l’époque ce n’était pas si exceptionnel. Mais c’était bien quand même…

 

Le groupe féminin le plus populaire de la scène musicale japonaise (jusqu’aux AKB48 du moins)

- En tout cas elles ont vraiment apporté leur touche au marché. C’était de la dance assez sucrée, ce n’était pas chanté très juste, les chorégraphies étaient kitsch à souhait, mais les japonais se sont attachés au fait que ces jeunes filles incarnaient un renouveau, une fraîcheur qui gardait le charme, la modestie de l’imperfection. Ce genre de choses a toujours touché le public nippon. Leur plus grand succès c’est une ballade de Noël, qui s’appelle WHITE LOVE, c’est un grand classique de la pop japonaise. Avec là aussi une chorégraphie complètement inutile qu’elles font juste avec les bras derrière leur micro. Elles en ont vendu 1.840.000 tout de même !
- Ca fait encore plus de singles d’Ayumi ça hein dis ?
- Oui clairement… Mais arrêtez d’embêter Ayumi, la pauvre, elle ne mérite pas son triste sort… Il fut un temps où c’était la Reine. (soupir)
- C’est parce qu’elle est vieille que plus personne ne l’aime ? Et quand tu seras aussi vieux qu’elle toi aussi plus personne t’aimera ?
- Oh vous savez vous êtes bien les seuls à m’aimer encore. Même vos parents ne veulent plus entendre mes histoires… Bref, revenons à nos moutons. SPEED a donc sorti 3 albums, un best-of et 11 singles, tous couronnés de succès même si les derniers ont un peu souffert de l’arrivée d’une nouvelle vague plus RnB avec des chanteuses comme Mai Kuraki et Hikaru Utada. Et puis elles ont finalement décidé qu’elles voulaient se consacrer pleinement à leurs activités solo, qu’elles avaient déjà débutées courant 1999. Alors elles ont annoncé leur séparation, moins de quatre ans après leurs débuts. Je les ai réellement découvertes un tout petit peu avant ce moment là moi. J’avais survolé leur premier album sans m’arrêter dessus, parce que je n’aimais pas trop les girls bands. Mais j’ai complètement flashé sur une chanson planquée au fond du premier single de hiro, une chanson qui s’appelait Delicious et que j’ai écoutée en boucle pendant des mois. Du coup je suis revenu sur la discographie de SPEED, et finalement je me suis pris en affection pour leurs braillements et leurs mélodies efficaces. Mais en fait, mes chansons préférées n’étaient pas les mêmes que celles des autres. Par exemple, j’aime beaucoup deux titres qui ne sont que des pistes de remplissage d’albums : Kiwi Love, une pop très sucrée complètement ringarde, et Snow Kiss, une très jolie ballade, peut-être l’une de mes préférées !

 

- Kiwi Love ? Ca veut dire l’amour kiwi ? C’est n’importe quoi !
- Oh vous savez, à cette époque les japonais avaient un vrai problème avec l’anglais. Ils mettaient des mots d’anglais un peu partout sans trop savoir ce que ça voulait dire. Par exemple le premier single de Namie Amuro s’appelle BODY FEELS EXIT : « le corps sent la sortie ». Les SPEED elles ont aussi eu droit à des fautes de grammaire (« We’re have been set free » dans Starting Over…), des titres improbables comme Go! Go! Heaven (Allez ! Allez ! Paradis) et à des tas de lieux communs.
- C’est quoi des lieux communs ?
- C’est des expressions toutes faites très bateau, qui ne servent à rien, mais dont les japonais pensent qu’elles sonnent bien, alors ils les casent au milieu de paroles qui n’ont pas grand chose à voir. Le plus souvent, des trucs de chansons d’amour, du genre « I know I need you / I say I love you / Kiss you… I’m yours / We are living in a hard place, hard times » etc, pour ne citer que SPEED. A vrai dire ça n’a pas beaucoup changé, quand vous serez plus grands, je vous parlerai du premier single d’une chanteuse qui s’appelle YUI, vous verrez, c’est pas triste non plus. En tout cas, j’ai une certaine affection pour SPEED notamment parce que c’est avec elles que j’ai passé l’an 2000.
- On connaît YUI, Papa nous met ses nouvelles chansons pour nous aider à nous endormir… Raconte nous comment c’était le passage à l’an 2000 !
- Oh c’était très anecdotique finalement, j’étais invité à une soirée avec des amis, c’était sympa, mais rien de bien mémorable, au risque de vous décevoir. Ce dont je me souviens surtout, c’est qu’avant d’aller à cette soirée justement, j’ai écouté en boucle tout un tas de morceaux de SPEED en chantant à tue-tête, et plus je les écoutais, plus je les aimais, parce que ça me rendait triste qu’elles se séparent. Kiwi Love et Snow Kiss par exemple, ce sont les chansons de mon passage à l’an 2000 !

 

Le grand retour en 2008. Enfin « grand », il faut le dire vite…

- En tout cas voilà, après deux best-of (comprenant April, une ballade inédite qui m’a beaucoup marqué également), les SPEED se sont chacune investies dans des activités solo, mais il n’y a que les albums de reprise jazz de hiro, sous le nom de Coco d’Or, qui se sont révélés dignes d’intérêt. Le groupe s’est reformé deux fois en 2001 et 2003, pour des opérations de charité. La deuxième réunion a donné naissance à un 4ème album, chez avex trax cette fois. Ce qui était intéressant c’est que pour la première fois on a pu entendre le groupe chanter des titres de compositeurs différents, avec des collaborations plutôt sympa (The Gospellers, Chara, Tommy february6…) et un son globalement plus mature. Mais ça n’a pas plus marché que ça, et le groupe est resté séparé, chacune menant sa carrière dans son coin. Et puis en 2008, encore une fois pour une opération de charité, SPEED se reforme à nouveau. A l’époque le Japon est en pleine période nostalgique, beaucoup de groupes séparés renaissent de leurs cendres, et la réapparition de SPEED fait réagir le public, qui les réclame. Si bien que quelques semaines plus tard, le management du groupe confirme que cette fois, les filles reviennent pour de bon. Dans les faits, dans les quatre années qui ont suivi (et que vous avez connues, cette fois), elles n’ont pas sorti grand chose : quelques singles qui confirment la recherche de plus de maturité, et surtout un best-of de chansons réarrangées et rechantées, parce qu’en fait c’est surtout leurs anciens titres que le public leur demande.
- On n’en a pas entendu parler nous !
- Oui ça ne m’étonne pas, on ne peut pas dire qu’elles fassent des étincelles. Et puis leurs sorties sont assez rares en réalité. Contrairement à la plupart des groupes qui sont réapparus après une longue absence, comme Do As Infinity pour ne citer qu’eux, les SPEED n’inondent pas le marché de leurs disques, elles ont toutes des choses à faire en marge de leur carrière commune. Quoi qu’il en soit, pour finir mon histoire, figurez-vous que les SPEED ont sorti il y a quelques mois, quatre ans après leur retour, leur premier album de nouvelles chansons, qui s’appelle 4 Colors !
- Oh, ça a du te faire plaisir ! Et alors, il est bien leur nouveau CD ?
- Moui, ça m’a fait plaisir de les entendre à nouveau. Mais bon, voilà longtemps que je suis passé à autre chose, et force est d’avouer que leurs talents de danseuse paraissent bien faiblards aujourd’hui en comparaison avec les groupes plus jeunes qu’on trouve sur le marché mondial. Et puis leur façon de chanter, stéréotypique de l’absence totale de finesse des années 90, a beaucoup vieilli. En particulier, la voix d’Eriko est sacrément insupportable, et quand les quatre filles se mettent à hurler toutes ensemble, ça m’explose le sonotone…! En fait, c’est un album très paradoxal, qui donne l’impression que malgré tous les efforts du monde, avex n’a pu faire que du neuf avec du vieux.

 

4 Colors, un nouvel album plus anecdotique qu’autre chose.

- D’un côté on trouve des productions très modernes, avec des basses appuyées, des nappes de synthés, plutôt bien fichues; mais l’interprétation des filles très datée, le mariage des quatre voix assez criard et les paroles encore plus niaises et insipides (« We just wanna make world dance / WE ARE BY YOUR SIDE, hitori jya nai / Yes I love you always, don’t worry my best friend / I CAN NEVER TOUCH this is SURPRISE ») sont en complet décalage. Par exemple WORLD DANCE démarrait bien dans un registre dance nettement plus club qu’à l’accoutumée jusqu’au refrain où les voix de hiro et Eriko ensemble font perdre toute crédibilité au morceau. Sur une base plus RnB, c’est aussi l’harmonie des quatre voix (dont celle d’Eriko à nouveau très fausse en voix de tête) qui vient ruiner Stay Miracle, tandis que PRIDE et S.P.D virent au ridicule tant Eriko et les choeurs manquent de crédibilité dans le style urbain (en particulier sur la prononciation de l’anglais, mélange d’engurish et de patate chaude pathétique au possible). C’est dommage, car dès lors que les filles arrêtent d’en faire des tonnes pour endosser des rôles qui ne leur vont pas, ça marche beaucoup mieux : ainsi le titre dance SURPRISE est effectivement une bonne surprise, le dynamisme naturel des SPEED n’étant pas entaché par une quelconque velléité à les faire passer pour des reines du nightclubbing. Il y a même une vraie réussite avec la chanson-titre 4 Colors, une ballade mid-tempo aux arrangements mêlant instruments acoustiques et synthétiques et à l’interprétation sobre, dont le refrain possède un vrai charme et un certain pouvoir entêtant.

D’un autre côté, il y a sur le CD tout un tas de morceaux dans la pure lignée des grands succès de SPEED, au parfum très typique des années 90, qui sont très bien exécutés, mais sonnent inévitablement désuets parachutés 15 ans après l’heure de gloire de cette forme de Jpop. Ashita no Sora aurait clairement pu figurer sur l’un des trois premiers albums de SPEED, tout comme Yubiwa, Let’s Heat Up! ou encore Himawari qui revisitent toute la gamme de SPEED.

Au final, les filles donnent l’impression d’être coincées le cul entre deux chaises, entre un style où elles sont à l’aise mais qui n’intéresse plus personne, et une évolution dont elles ne sont malheureusement pas capables par nature. A 30 ans, elles ne peuvent plus chanter cette pop qu’elles incarnaient à l’âge de 15 ans, quand leur public avait le même âge. Mais force est de constater qu’elles ne savent pas faire autre chose… Outre 4 Colors et dans une moindre mesure SURPRISE, il n’y a guère qu’une seule autre chanson convaincante sur le CD : Little Dancer, peut-être le seul morceau à réussir la transition entre les deux époques grâce à une pop légère aux arrangements modernes mais légers et assez frais. La clé de leur salut est peut-être là : les SPEED doivent assumer leur identité pop et mettre au placard leur envie de coller à la mode du moment, tout en modernisant leurs arrangements et en apportant de la nuance à leur interprétation. D’ici là, cet album vaut surtout en cela qu’il permet, sous couvert de nouveautés, de se replonger quelques instants dans une période définitivement révolue, lors de laquelle la Jpop avait une couleur musicale bien spécifique, qui a énormément marqué les gens de ma génération. Mais si le CD n’a pas marché ça n’a rien d’étonnant : qui aujourd’hui achèterait encore de nouveaux CDs des Worlds Apart ou des Spice Girls, à part une partie des fans de la première heure ?
- C’est qui les Worlds Apart ?
- C’est un peu les One Direction du siècle dernier, sauf que eux chantaient avec leurs abdos et leurs pectoraux.
- Donc c’est plus comme les groupes de Kpop en fait ?
- Oui peut-être, sauf que les abdos et les pectoraux des Worlds Apart, c’était des vrais…

- Et dis Papy, l’histoire de SPEED, tu crois qu’elle se finira comment alors ? Elles vont se marier? Elles auront beaucoup d’enfants ?
- Ecoutez, je pense qu’elles vont continuer comme ça encore un petit moment, à faire le yoyo entre leurs activités solo qu’elles vont sûrement encore diversifier, et leurs petites réunions de famille pour le plaisir et pour nourrir les émissions TV qui jouent la carte nostalgique.  Pour le reste, à part Takako qui s’est mariée l’année dernière, on ne sait pas grand chose de la vie amoureuse des trois autres, en tout cas je ne m’y suis pas vraiment intéressé. Je sais simplement que Eriko est divorcée de Shogo, du groupe 175R, et qu’ensemble ils ont eu un fils, qui s’avère être sourd. Je persiste à penser que le pauvre gosse a perdu son ouïe à force d’entendre sa mère brailler mais à chaque fois que je dis ça je me fais houspiller, alors…
- Oooh Papy c’est pas drôle, t’es méchant ! Tu sais quoi, t’es presque aussi méchant que le vieux dans Scènes de Ménage, na !
- Presque oui. Mais rassurez-vous, j’ai encore un peu de marge. Quand j’aurai son âge, c’est promis, même vous vous ne me supporterez plus…! Allez, c’est pas tout ça, mais il est tard. Au lit !
- Oh nooooon pas déjà ! Raconte-nous encore une autre histoire ! S’il te plaîîîîît !
- J’ai dit non, c’est non ! De toute façon j’ai bien vu que vous dormiez à moitié quand je vous parlais du nouvel album des SPEED. Alors au lit !
- Bon, d’accord… Bonne nuit Papy, et merci pour ton histoire. On t’aime Papy !
- Moi aussi je vous aime mes petits, moi aussi. C’est pas tous les papys qu’ont la chance d’avoir des petits qui veulent encore bien entendre ses histoires de vieux con du siècle dernier…

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