Evangelion 2:22 – You can (not) advance
Un aparté aujourd’hui, mais vous me pardonnerez, puisque pour la 1ère fois depuis pas loin de 10 ans je vais me faire l’immense plaisir d’écrire sur le 1er sujet sur lequel j’ai jamais écrit : Evangelion. (NB : quelques spoilers sur la fin, mais à surligner à la souris pour en épargner la découverte à ceux qui veulent garder le suspense intact. Le reste de ce billet est parfaitement lisible sans risquer de se gâcher le visionnage du film)
Pour ceux qui ne le sauraient pas, Evangelion, c’est un peu LE tournant de ma vie de nippophile. Il est probable que sans cette série, je ne serais même pas fan de Jpop aujourd’hui. Après une éducation au Club Dorothée comme tout le monde, et notamment une grosse ferveur DBZ comme tout le monde (il faut assumer ses origines), j’ai été comme tout le monde un peu orphelin au moment où TF1 a droppé l’animatrice. Et je me suis comme beaucoup de monde réorienté vers les supports alternatifs, manga et DVD pour l’essentiel. Là où mon parcours se distingue, c’est dans la chance, incroyable avec le recul, qui m’a été offerte de pouvoir visionner l’anime Evangelion quelques mois à peine après sa première diffusion japonaise, en VOST sur la toute petite chaîne câblée C:. Avec un sous-titrage d’ailleurs différent (et beaucoup plus réussi, je trouve) que la version Dynamic Vision officialisée plus tard. Ce fut un choc gigantesque qui allait conditionner toutes mes années lycée : après 17 visionnages des 26 épisodes de la série, je me suis lancé dans la rédaction de ce qui fut reconnu comme l’un des meilleurs, sinon le meilleur dossier consacré à Eva sur le web francophone, sur un site créé avec un ami baptisé vdv-stuff, puis v-stuff. Ce même site qui, plus tard, deviendrait l’une des références Jpop avant de laisser place à mimu.
Evangelion, c’est à la fois le début de quelque chose d’immense, à savoir ma spécialisation et mon investissement rédactionnel autour de thèmes japanisants, et une fin : celle de ma passion pour les anime, que j’ai du coup transposée à la musique. Car même si j’ai continué à en regarder quelques uns par la suite, plus aucune série d’animation japonaise ne m’a jamais fait autant d’effet que le monument Eva, plus aucun ne m’a jamais paru à la hauteur, ne m’a autant appris. Près de 15 ans après, je ne vais pas me relancer dans le débat éculé sur les qualités et les défauts de la série, son caractère overrated pour certains… Evangelion est LA série culte des années 90, c’est un fait incontestable, il y a des raisons à cela, on peut ne pas y adhérer, mais nul ne pourra nier qu’il y a eu, dans le monde de l’animation, un avant et un après Evangelion. En témoignent d’ailleurs les excellents résultats ciné de ce deuxième opus, les ventes record en DVD et Blu-ray, et le buzz phénoménal qui a accompagné sa sortie.
Evangelion a non seulement été la pierre angulaire de mon attachement à l’entertainment nippon, mais ce fut aussi un élément clé dans mon passage à l’âge adulte. Ca peut évidemment paraître ridicule aujourd’hui, d’ailleurs je vois d’ici une horde d’apprentis psycho-(choisir un suffixe quelconque) snoibnards me regarder de travers avec dédain à la lecture de ce qui va suivre. Mais les thèmes abordés (la fuite, l’Oedipe, les relations humaines d’une manière générale, la violence, l’otakisme, la décision, la liberté, la vision du monde, la frustration…), et la nécessaire réflexion qu’il m’a fallu mener pour les comprendre -alors que je n’étais guère qu’un ado premier de la classe comme tant d’autres- m’ont sans aucun doute permis de faire un chemin que j’aurais fait plus lentement, plus difficilement aussi peut-être, si je n’avais pas eu cette occasion et ce support extérieur pour m’y intéresser. D’où un attachement réel à cette série que j’ai exploité longtemps, me permettant par la même occasion de prendre un certain recul sur sa nature et de ne pas tomber dans le purisme excessif qui caractérise un certain nombre de fans, lesquels ont depuis accueilli les différents développement ciné, manga ou jeux video d’Eva comme autant d’hérésies.
Tout ça pour dire que je viens de visionner Evangelion 2.22 : You can (not) advance et que, 10 ans après la fin de mon travail sur Eva, je me suis pris une sacrée claque. Pour ceux qui débarquent, il y a donc eu Evangelion la série en 26 épisodes, les deux films Death and Rebirth et The End of Evangelion offrant un point de vue différent sur la fin de la série, une tripotée de manga plus ou moins anecdotiques donnant également des interprétations différentes d’une trame scénaristique globalement similaire, et puis il y a donc ce projet Rebuild of Evangelion constitué de quatre films. Le premier reprenait globalement les évènements des premiers épisodes de la série sans changement majeur, avec juste un bonne petite remise à niveau technique, et ne m’avait guère intéressé qu’à titre purement nostalgique. Le second est celui dont il est question ici, et constitue un virage scénaristique majeur, qui sera complété dans un troisième film suivi d’un quatrième offrant une fin totalement inédite.
J’avoue avoir très envie de me lancer dans le travail de décryptage de ce deuxième film, tant il bouleverse la conception du monde d’Evangelion que peuvent avoir les fans jusque là. Mais je vais passer mon tour, faute de temps pour tout d’abord revenir sur la série d’origine, puis revisionner un bon paquet de fois ce film qui donne naissance a énormément de théories tout en laissant toutes les réponses en suspens. Je laisse ce soin à d’autres, je crois que mon heure est passée ! Ce qui est certain, c’est que Hideaki Anno a énormément bossé son sujet pour le rendre cohérent. Et qu’il enrichit de manière exceptionnelle la mythologie d’Eva, ce qui promet pour les deux prochains films; car quand on voit l’état avancé du scénario et son décalage par rapport à la ligne d’origine à la fin de ce deuxième opus, on se demande bien où le réalisateur va nous emmener sur les probables 3h de films restant à produire ! Aussi je vais me contenter de quelques réflexions globales sur le fond, et une petite chronique de la forme.
Sur la forme tiens, pour commencer. Grosse claque visuelle évidemment, avec une 3D globalement bien intégrée, des Eva dont le design a été modernisé, une animation explosive avec des choix d’angles de vue excellents et des scènes de combat soignées, et puis surtout une puissance, une intensité dramatique inégalées dans la narration doublées d’un travail de doublage toujours aussi exceptionnel, bref une maestria évidente dans la réalisation qui relègue loin, très loin tous ces anime de production de masse qui inondent toujours le paysage audiovisuel nippon. La critique ne s’y est pas trompée en offrant moult récompenses au film, jusque dans l’Hexagone (meilleur film d’animation au festival Cinémas et Cultures d’Asie à Lyon, ainsi qu’une diffusion au prestigieux festival d’Annecy). La bande son est toujours aussi jouissive, reprenant les thèmes majeurs de la série originale dans des versions parfois remixées, introduisant aussi de nouveaux thèmes, ainsi que deux nouvelles chansons à l’utilisation complètement décalée (une contine mignonne d’une part, et une chansonnette avec choeurs d’enfants d’autre part, servant de BO à des scènes violentes et tragiques au possible), sans oublier un générique signé Hikaru Utada, excusez du peu. Du fan-service aussi, grande tradition du studio Gainax, ce qui n’a d’ailleurs pas manqué de faire hurler certains fans un peu trop protecteurs de leur bébé. Ceux-ci oublient sans doute que le studio Gainax est à la base un repaire d’otaku qui se sont dits qu’il n’y avait pas mieux qu’eux pour produire des oeuvres à même de plaire à leurs congénères; et qui ont compris aussi, pour l’avoir expérimenté, qu’on ne fait rien sans argent, et que les produits dérivés jouent donc un rôle déterminant dans le budget qu’ils vont pouvoir insuffler à leurs travaux futurs. On se retrouve ainsi avec plusieurs plans petite culotte, Shinji aguiché par Kaji qui lui propose de venir arroser ses pastèques (sic), des rôles féminins un poil parfumés à l’eau de rose, et surtout un nouveau personnage féminin à la poitrine généreuse qui débarque un peu comme un cheveu sur la soupe, et de nouvelles Eva qui n’ont pas manqué de générer des millions de yens de revenus en figurines et autres illustrations vendues à prix d’or. Sans parler de thématiques plus emblématiques des années 2000, comme par exemple une petite dose d’écologie. Ma foi, voilà qui ne me gène pas, dans la mesure où il s’agit là d’un des grands savoir-faire nippons : intégrer dès la conception d’une oeuvre la logique commerciale qui va avec de manière à ce que ce mariage soit le plus cohérent possible, et à ce que les ingrédients introduits par opportunisme viennent réellement nourrir la création. Ce qui est, ici, réussi avec brio.
Comme l’indique le titre du projet, Rebuild of Evangelion est donc une reconstruction d’Eva. Je ne m’attendais toutefois pas à ce que le virage scénaristique soit aussi drastique. Premier point satisfaisant : la manière dont la trame a été délestée de certains éléments pour faire avancer l’intrigue parallèlement à celle de la série tout en réduisant la durée de l’action de 75%. On pouvait s’attendre à une boucherie tant la série devient dense à partir de son deuxième tiers. Alors certes, certains choix réalisés par Anno font grincer des dents, qu’il s’agisse du rôle de Tôji ou du personnage d’Asuka (j’y reviens un peu plus bas dans la partie spoiler). Mais tout ou presque est justifié par un élargissement important des perspectives, et notamment une vision beaucoup plus mondiale des évènements et du complot de la Seele, là où la série était centrée à 95% sur le Japon. Quelque part, les faits sont même beaucoup plus crédibles ainsi. La grande question, c’est bien sûr de savoir comment ce nouveau scénario se place par rapport à celui de la série. Est-ce une simple relecture ? Un univers parallèle ? Une chose est claire, Anno a fait très fort : car si avoir vu la série est indispensable pour être imprégné de la personnalité des personnages et avoir connaissance de la nature de chacun, c’est aussi ce qui va dérouter le spectateur face au déroulement différent de certains évènements, ou aux réactions inattendues de certains personnages. Pour apprécier pleinement ce Rebuild, il est nécessaire de garder en tête la série Eva, tout en s’en détachant. Ce qui est d’autant plus difficile qu’Anno sème des pistes qui tendent à démontrer que les deux supports ne sont pas simplement parallèles, mais bien directement connectés…
ATTENTION, SPOILERS à surligner ! La phrase clé de ce film, c’est bien évidemment celle de Kaoru après le générique de fin : « Le temps de tenir ma promesse est venu, Shinji. Cette fois, je vais tout faire pour te rendre heureux. ». Cette fois, parce qu’il y en a donc eu une autre? D’où l’idée, qui constitue la théorie la plus évidente, que l’intrigue de ce film soit la reconstruction du monde par Shinji à l’issu du Third Impact de la série et des premiers films. Un nouveau monde dans lequel les évènements sont similaires parce que ce sont les seuls qu’il connaît, mais pas identiques : l’océan est devenu rouge (comme à la fin de The End of Evangelion), les Anges ont un design différent, certains sont même rigoureusement différents. La vision du monde est plus internationale, moins centrée sur le Japon lui-même, signe d’une ouverture d’esprit. Et les personnages jouent un rôle qui sert un peu plus ce à quoi Shinji aspire : renouer avec son père. C’est ainsi que Rei retrouve un semblant d’humanité (une autre hérésie pour beaucoup, ce qui se comprend) et cherche à rapprocher Gendô de Shinji (ce qui reste cohérent si l’on pense à Yui). Cette même Rei que Shinji décide de sauver, en la déclarant unique, alors que Rei est techniquement remplaçable et que la série ne s’est pas gênée pour le faire. C’est ainsi aussi que Shinji se voit embarqué au centre d’un trio amoureux avec Rei et Asuka, une Asuka différente, à la personnalité moins envahissante, et qui se voit d’ailleurs attribuer un nouveau nom. Asuka est peut-être un peu sacrifiée ici, ce qui déçoit beaucoup de ses fans, mais cela prend tout son sens si l’on estime que c’est le choix de Shinji, lui qui tente d’étrangler la jeune fille à la fin de The End of Evangelion. Et puis c’est aussi un nouveau coup de pied au cul des otaku, auxquels Anno aime rappeler qu’il y a des choses plus importantes que le devenir de leur personnage d’anime préféré. Quant à l’intrigue globale, elle prend une direction autrement plus ambitieuse, avec de nouvelles Evas, une base sur la Lune, plusieurs lances de Longinus, des cercueils qui questionnent sur la nature réelle des Children et notamment celle de Kaoru (lequel appelle Gendô « papa »). Et puis un rôle mystérieux mais prometteur pour le personnage de Mari (qui rappelle un peu les ficelles scénaristiques de 24 et autres séries américaines récentes, à savoir un personnage qui déboule en plein milieu de l’action avec un charisme, un savoir et une épaisseur énormes, tout en générant plein de questions sur le pourquoi du comment).
Il est beaucoup trop tôt pour tenter de répondre à toutes les questions induites par le changement de cap du scénario, mais les bases aussi audacieuses que solides qui sont posées laissent vraiment croire que Hideaki Anno sait où il va, ce qui me rend on ne peu plus confiant sur la suite des évènements. Confiant et surtout impatient, comme je ne l’avais pas été depuis très longtemps, de découvrir le destin que le réalisateur réserve à ses personnages, et le message qu’à travers eux il cherchera une nouvelle fois à donner à son public.
En tout cas, ce deuxième film, c’est 1h58 de pur bonheur, un must pour les fans, et pour les autres une occasion rêvée de découvrir Evangelion, en passant d’abord par l’indispensable case série, tout en restant collé à l’actualité.
Vivement la suite !
Juste pour précision, la bande son n’a pas été seulement « remixée » mais totalement ré-arrangée et ré-enregistrée pour l’occasion avec The London Studio Orchestra, en partie dans les fameux studios de Abbey Road d’ailleurs.
Sinon, les deux chansons utilisées « à contre emploi » sont en fait deux reprises de titres populaires japonais, « Kyo no hi ha sayonara » et « Tsubasa wo kudasai » réinterprétés pour l’occasion par Megumi Hayashibara.
Bref, dur pur bonheur !
Oh sent le fan, me rappel d’un certain site’ que tu avais sur cette série.
Evangelion, évidement une très grande série qui a su marquer l’histoire de l’animation (peut être malgré elle).
J’avais acheté un coffret de la série remasteriser 5.1, mais je n’avais jamais fait l’effort de m’y relancer.
C’est chose faite il y a quelques mois et c’est avec plaisir que j’ai redécouvert cette série bourrée de bonne idée et de concept passionnant et intéressant. Malgré que je pense que cette série est surestimé et qu’à force d’extrapolation on ne sait plus grand-chose du but initial (il y en avait il au début ?) et que l’emballage mediatico commercial est dès plus exécrable j’adore cette série qui toute personnes devrait voir au moins une fois dans sa vie.
Le seul truc qui m’énerve c’est le coté otaku fan petite culotte qui m’ennuis (m’énerve ?) profondément.
Bref j’étais un peu septique sur cette reconstruction mais tu m’as donné envie d’acheter les 2 films en dvd.
Merci, très bon article !
« tu m’as donné envie d’acheter les 2 films en dvd. »
pareil :)
Cool comme article et Btw Shito, as tu l’intention de faire la critique du dernier single de Namie :P
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