Le Japon, bientôt premier marché musical du monde ?
Comme tous les ans, la RIAJ (Recording Industry Association of Japan) a publié début avril son rapport sur les tendances du marché musical japonais pour l’année précédente, 2009 donc. Quatre mois après la guerre oui, mais c’est clairement mieux que rien. On y a bien sûr confirmation de la baisse inéluctable des ventes de CDs, d’un tassement du marché du téléchargement, d’une montée en puissance doucement mais sûrement d’Internet face au téléphone mobile, entre autres. Et surtout on y découvre que le Japon se rapproche plus que sérieusement des Etats-Unis pour la place de premier marché musical mondial, et là ça devient intéressant !
J’avais l’habitude de produire un synthèse de tous ces chiffres sur les différents sites sur lesquels j’ai travaillé ces dernières années, qui avaient intéressé pas mal de monde à en juger par les excellentes audiences enregistrées par ces pages. Je remets donc le couvert, en version (à peine) plus synthétique quand même…
Commençons par les ventes. 214 millions d’unités pour les supports physiques audio (-13%), 55 millions d’unités pour les vidéos musicales (+6%), et 468 millions d’unités pour le téléchargement (-2%) : les choses sont claires, le CD connaît un déclin dramatique. En termes de chiffres d’affaires le constat est encore pire : -16% pour les singles et albums, +2% pour les videos, et des recettes stables au téléchargement. Le marché est donc ainsi réparti : les CDs ne représentent plus que 61% du CA global (contre 72% en 2007), les DVDs montent à 17% (contre 12% en 2007) et la musique digitalisée culmine à 22% (contre 16% en 2007).
Dans le détail, du côté des supports physiques, il s’est vendu au Japon 44,9 millions de singles en 2009 (en baisse de 16%), pour un total de 34 milliards de Yens (-15%). Les albums représentent 85% du CA du marché musical avec 165 millions d’unités pour 212 milliards de yens de recette, en baisse de 16%. Enfin, les ventes de DVDs progressent de 6% à 58,74 millions d’unités, pour un CA en hausse de 1% à 65,7 milliards de yens. C’est la deuxième année consécutive que les ventes de DVDs dépassent les ventes de CDs singles dans l’archipel, qui reste traditionnellement le plus gros consommateur de singles au monde, de très loin.
Au téléchargement, on notera que la part des téléchargements sur internet progresse de manière très régulière : elle représente aujourd’hui 11% du marché digital, contre 10/9/8/5 les années passées. 46,8 millions de titres ont été acquis sur internet, et 421,35 millions ont été téléchargés sur téléphone mobile pour un total pesant pas moins de 90,1 milliards de yens. Principal enseignement : le marché du téléchargement semble avoir atteint un plafond, puisqu’il stagne aujourd’hui après avoir connu une croissance soutenue qui a abouti à un quasi-triplement en volume entre 2005 et 2008. La RIAJ fournit comme d’habitude des statistiques détaillées par format. Ainsi sur internet, le nombre de singles vendus est en hausse de 12% à 42,5 millions d’unités. La hausse s’élève à 17% pour les albums (2,55 millions d’unités) et 11% pour les clips (1,74 millions de téléchargements). Sur téléphone mobile, le chaku-uta connaît un net repli (-14% pour 157 millions de téléchargement) en faveur du chaku-melo (112 millions); le chaku-uta full reste stable, autour de 143 millions d’unités, mais gagne 4% en valeur grâce à une petite hausse de la moyenne des tarifs. Surprise par contre du côté des videos musicales sur téléphone portable, en repli de 18% à 7,97 millions d’unités. Une explication est peut-êre à chercher du côté du tarif de ces videos, qui a sensiblement augmenté, d’où d’ailleurs une croissance de 1% du chiffre d’affaires sur ce secteur en dépit du recul numérique.
Côté production, on retrouve logiquement des tendances similaires, la loi de l’offre et la demande faisant son office. 273 millions de CDs et DVDs musicaux sont sortis d’usine en 2009, contre 303 l’an dernier et 480 en 1997/98 ! En valeur le gouffre qui s’est creusé depuis l’âge d’or de la fin des années 90 est encore plus impressionnant : on passe de 607 milliards de yens en 1998 à seulement 316 en 2009 !
Parlons maintenant diversité, avec les statistiques par titres. Les maisons de disques nippones semblaient chercher à compenser, ces dernières années, la baisse des ventes moyennes de chaque single ou album par un nombre de sorties plus important : on a même battu le record absolu en 2007. Le stratagème n’a toutefois pas porté ses fruits, et l’on assiste à un renoncement manifeste en 2009 avec un volume de sorties qui atteint son plus bas niveau depuis 2005 : 2860 titres différents sortis en singles, 15054 albums et 1540 DVDs sont recensés. Si la quasi-totalité des singles sortis concernent comme d’habitude des artistes japonais, on constate un recul de la part de marché des artistes internationaux au rayon albums, en baisse de 15%, en faveur des artistes nippons. Singles et albums confondus, le nombre de titres commercialisés d’artistes japonais grimpe de 4%, contre une chute de 15% pour leurs confrères internationaux.
Toutefois si les labels ont de toute évidence renoncé à la quantité, ils continuent à chercher la perle rare qui pourrait faire exploser les compteurs. Après avoir surclassé le record absolu du nombre de nouveaux artistes mis sur le marché en 2008 (512, contre 378 en 2007), on reste dans des valeurs similaires en 2009 avec 505 nouvelles têtes en major. Mieux, en 2009 le record d’artistes faisant leurs « vrais » débuts est à nouveau dépassé (là où en 2008 une certaine part des 512 nouveaux artistes étaient en réalité des artistes sur le retour, dans un nouveau groupe ou une nouvelle maison de disques). Sans réel impact toutefois, puisque le nombre de phénomènes commerciaux reste très limité. Pas un seul single millionnaire sur support physique et seulement 4 albums contre 7 en 2008 : c’est le deuxième pire résultat de l’Histoire ! Au format numérique aussi les conclusions sont décevantes : 10 titres ont dépassé le million d’exemplaires téléchargés, c’est mieux que les 9 titres de 2008, mais nettement moins bien que les 14 morceaux millionnaires de l’année 2006.
Petite nouveauté dans le rapport 2009 : des statistiques sur l’âge des consommateurs de musique par format. Et là, petite surprise : les principaux acheteurs de musique au Japon sont à chercher parmi les trentenaires et quadragénaires ! Ceux-ci représentent 40% des ventes de CDs, 54% des téléchargements sur internet et 44% des téléchargements sur téléphone. Derrière, on retrouve les moins de 30 ans avec 32% des ventes de CDs, 29% des téléchargements sur le web et 43% des téléchargements sur téléphone. Le reste étant logiquement attribué aux plus de 50 ans… Des chiffres qui s’expliquent très probablement par un pouvoir d’achat en berne chez les jeunes, et qui sont à relier directement à la chute des ventes des principales popstars et autres groupes pour adolescent(e)s. Mais aussi sans doute au succès d’Arashi, un groupe qui vise un public plus âgé que ses cadets KAT-TUN et NEWS… On n’osera même pas imaginer ce qu’il serait de ces parts de marché par classe d’âge sans la Johnny’s Jimusho…
Bref, tout cela n’est pas très joyeux, mais il y a une consolation : par rapport aux autres pays du monde, le Japon fait plus que limiter les dégâts, en confortant à merveille sa place de 2ème marché mondial. En 2008, le marché japonais avait perdu 7% en volume, et 2,7% en valeur à 535 milliards de yens. Dans le même temps, les USA perdaient pas moins de 26% en volume, et 29,4% en valeur ! Dans le reste du top5, l’Allemagne recule de près de 8%, le Royaume Uni presque 7%, et la France plus de 16% ! Mais il y a mieux : exprimée en dollars, la différence entre le chiffre d’affaires du marché américain et celui du marché nippon n’est plus que de 800 millions de dollars (5,98 milliards pour les USA contre 5,17 milliards pour le Japon). L’an dernier, cette différence atteignait pourtant 3,81 milliards (7,98 milliards pour les USA contre 4,17 pour le Japon) ! La chute du marché américain n’est pas la seule explication : exprimé en dollars, le chiffre d’affaires du marché japonais connaît une hausse de 23%, grâce à un simple phénomène financier : la très forte appréciation du yen, dont le taux de change a fortement évolué en 2008 en défaveur de la monnaie américaine. Si l’évolution se poursuit dans le même sens, et tout porte d’ailleurs à croire que ce sera le cas, alors les chiffres 2009 pourraient consacrer le Japon comme premier marché musical mondial sur le critère du chiffre d’affaires en dollars, celui-là même qui est retenu pour l’établissement du classement !
Enfin, à l’heure où l’on assiste à un intérêt croissant pour la pop coréenne parmi les fans français, il convient de replacer les choses à leur place, en tout cas sur le plan quantitatif. La Corée du Sud n’est ainsi que le 26ème marché mondial, et pèse presque 50 fois moins que son homologue nippon; on comprend alors aisément les motivations des labels coréens qui poussent leurs artistes à investir les scènes japonaises. Reste que c’est toujours mieux que la Chine, seulement 30ème derrière Hong Kong et Taiwan !
Question de curiosité, la France est combien dans ce classement ?
Comme tu dis ils limitent les dégâts !
@Tanja La France est 5ème (si je ne raconte pas de connerie)
Meme si je considere que le telechargement illegal n’est pas qu’un crime atroce et que je n’ai sous la main aucune statistique officielle pour etayer cette affirmation : il serait hypocrite de ne pas prendre en compte le fait qu’au Japon la grand public ne telecharge que tres peu illegalement compare aux US ou a la France. On peut affirmer sans trop prendre de risques que cela joue aussi un minimum sur les resultats financiers du secteur.
On sait que le Japon est solidement ancré à la deuxième place pour sa production musicale. Toutefois, il faut nuancer son rapprochement par rapport aux USA, car tenir compte uniquement du chiffre d’affaire biaise un peu le point de vu qu’on peut avoir sur la santé du marché musical.
En effet, le prix moyen d’un album au Japon est de 3000 yen alors qu’il sera de 15 dollars au USA. Idem pour Itune avec des titres à 150-200 yen contre 0.99-1.29 dollars. Sans parler des prix exorbitants des DVD. Cela fait qu’à l’arrivée, le marché japonais à besoin de vendre entre 30 et 50% en moins en volume pour atteindre le même montant que les USA en chiffre d’affaire. Au final, je ne veux pas rentrer dans des petits calculs d’épicier, mais j’ai envie de relativiser la santé du marché japonais par rapport à l’international car sa santé est surtout basée sur une gamme de prix plus élevés, et pas sur un nombre d’artistes (ou de productions) plus élevés.
en plus le prix vient d’augmenter de 100 yens chez certaine maison de disque.
Merci pour cet article détaillé ! C’est vrai que les ventes physiques des CDs au Japon sont en baisse, mais les chiffres restent impressionnants compte tenu d’internet/téléchargement illégal (etc…). En prenant cela en compte, est-ce que les chiffres d’affaires vont continuer a baisser sans arrêts dans le futur ou est-ce que les chiffres ne vont pas plutôt se stabiliser ?
Ca c’est un article comme je les aime, merci Shito!!
Tanja > 5ème ouais !
uzaigaijin > Toutes les études que j’ai lues sur le sujet, et il en existe notamment une assez célèbre menée par le département économie d’une université japonaise, tendent à démontrer qu’il n’y a pas de lien direct entre la baisse des ventes et les téléchargements. Car souvent les gens téléchargent des choses qu’ils n’auraient de toutes façons pas achetées sinon faute de moyens. Et ceux qui n’achètent pas un truc parce qu’ils ont la possibilité de le télécharger sont compensés par ceux qui achètent quelque chose qu’ils ont découvert grâce à un téléchargement, et qu’ils n’auraient pas connu sans. La baisse des ventes, elle est conjoncturelle, liée à la dispersion des postes de dépense et à une évolution des modes de consommation. Le souci c’est que les maisons de disques ne trouvent pas de moyen d’enrayer ça sans toucher à leurs marges, donc elles préfèrent diaboliser le consommateur… Même si dans l’absolu évidemment, du point de vue des artistes, ne pas être rémunéré par quelqu’un qui consomme votre travail pose forcément un problème…
Maître K > je suis tout à fait d’accord avec toi, cette position potentielle de n°1 a de nombreux aspects artificiels. Mais pour ce qui est de la santé du marché jap, la simple comparaison des chiffres d’évolution en monnaie locale (-7% il me semble contre -28% aux USA, -16 en France) permettent de conclure sur une bien meilleure résistance du côté japonais que du côté occidental. Quant au reste, quelle que soit la manière dont on y arrive, ce que les media et l’industrie retiennent, ce sont les résultats, les symboles. Que le Japon atteigne la 1ère place d’une façon ou d’une autre, tout le monde s’en foutra, c’est le « numéro 1″ qui va marquer, et aboutir à un possible changement de regard sur ce marché. C’est ça que j’ai voulu souligner en tout cas, parce que pour le reste, comme je le dis, le mérite est faible, le principal facteur de succès ici tient de la pure spéculation financière.
Snake > Non, les chiffres n’ont franchement plus rien d’impressionnant. En 1997-98, à une époque où certains d’entre nous écoutaient déjà de la Jmusic, il se vendait 2 fois plus de CDs avec presque deux fois moins d’artistes et de titres mis sur le marché. Ce qui signifie qu’en moyenne chaque artiste vendait 4 fois plus. Ca c’était impressionnant ! Ce qui est impressionnant à la limite aujourd’hui, c’est que les ventes globales restent si faibles en dépit d’un volume de nouveaux artistes et de nouveaux titres qui bat des records. Et ce qui est intéressant aussi, c’est qu’en dépit de cette masse de nouveaux artistes, le public occidental considère globalement que le marché n’a jamais été aussi pauvre en qualité : le paradoxe, c’est que ce public ne part, à quelques têtes brûlées près, pas à la découverte des nouvelles têtes tant qu’elles n’ont pas marqué les esprits commercialement parlant. Et comme les succès commerciaux sont de plus en plus rares et aboutissent le plus souvent à un clônage en masse, on s’ennuie…
D’accord avec toi pour le symbole.
Ce qui permet au Japon de sauver les meubles de façon un peu plus glorieuse que d’autres gros pays producteurs c’est la capacité qu’on eu les majors japonaises à diversifié leurs sources de revenu avant tout de le monde (téléphonie mobile, partenariat avec le monde du cinéma, du jeu et de la publicité, goodies-mania etc…). Le revers de la médaille c’est que justement ces même majors rechignent à remettre leurs méthodes en question aujourd’hui: on vend certes moins, mais ça pourrait être pire, donc dans le doute on ne va rien changer. C’est pour moi une de grandes cause du manque d’innovation et de vrai nouveauté sur le marché musical.
Actuellement, le manque d’intérêt de la production japonaise est avant tout un problème structurel. Il y aurait énormément de choses à dire sur le sujet, donc cela n’a peut-être pas vraiment sa place sans un commentaire. Simplement pour rebondir sur le nombre importants de nouveau artistes arrivant sur le marché, il s’agit le plus souvent de faire passer la quantité avant la qualité, malheureusement… Comme tu l’as très justement noté, le moindre petit succès entraine le clonage en masse (le nombre hallucinant de copies d’Aoyama Telma et de Juju me donne la nausée, et je te parle pas de toutes celles qui attendent leur tour en faisant exactement la même chose, c’est à déprimer). Le problème étant que les « décideurs » ont mis en place un système qui ne peut que favoriser le clonage et la prise de risque minimum. Et ni les artistes ni les auteurs n’ont vraiment leur mot à dire…
Intéressant. Merci pour cet article.
Excellent article, j’étais passé à côté de ce bilan de la RIAJ. Merci bien ! J’ai jeté un coup d’oeil au pdf très détaillé, c’est en effet super intéressant.
Intéressant!
Sinon, l’engouement pour la pop coréenne est pas seulement français, il est mondial. Il suffit de voir le nombre de blogs ou sites de news sur la K-pop et l’entertainment coréen alors que j’ai du mal a en trouver de même des dignes de ce nom sur les news côté Japon. Le plus populaire d’entre eux, allkpop est d’ailleurs suivi par près de cent mille personnes sur facebook… Maintenant reste à savoir si cet engouement va durer.
J’imagine que la 26eme place de la Corée s’explique en partie par le prix très cheap des albums.
Par curiosité, si la France est toujours 5eme (et donc le Royaume-Uni 3eme et l’Allemagne 4eme?!), quel pays vient juste après?
6- Australie
7- Canada
8- Italie
9- Russie
10- Espagne