Critique single : Kyary Pamyu Pamyu – Ninjari Bang Bang
Il m’aura fallu pas mal de temps pour trouver comment qualifier ma relation à Kyary Pamyu Pamyu et ses élucubrations electro-pop terroristes. En relisant ce que j’avais écrit sur son premier album il y a quelques mois, je me rends compte qu’il est bien difficile de déduire de mon texte si, oui ou non, j’avais aimé ce CD. Que les singles de la chanteuse vous collent au crâne comme la connerie et le Pathos aux tweets de la vieille Boutin, c’est une chose. Mais ce n’est pas un gage d’appréciation pour autant. En fait, je ne saurais moi-même dire si j’aime PONPONPON, Tsukematsukeru ou CANDY CANDY : c’est le problème de ces morceaux qui se présentent à vous tellement souvent par eux-mêmes que vous n’avez pas l’occasion de vous demander si vous iriez les écouter spontanément. Avec un tel degré d’assimilation et d’accoutumance, c’est un peu comme un vieux couple : la question de savoir si l’on s’aime encore vraiment passe en second plan derrière le confort et l’habitude. Si les deux derniers singles en date de l’artiste avaient fait pencher la balance vers la théorie d’un vulgaire effet bourrage de crâne déjà en perte de puissance, la sortie de Ninjari Bang Bang a fini par m’apporter enfin toutes les réponses !
Vous connaissez sans doute le syndrome de Stockholm : un terme à la mode dans les media et la fiction ces dernières années, qui décrit l’affection développée au fil du temps par une victime pour son bourreau. Après l’évidente souffrance et le rejet de son agresseur, la personne séquestrée finit, au bout d’un certain temps, par arrêter de lutter. Les méfaits du bourreau se font alors moins brutaux, une routine s’installe, et même une certaine forme de complicité morbide. Et puis vient un point où les repères se chamboulent, où la raison se perd. Bien sûr les supplices les plus douloureux physiquement restent désagréables, mais l’on sait qu’ils ne sont qu’un mauvais moment à passer. L’instinct de survie humain de la victime tend par contre à rechercher un nouvel équilibre dans la donne qui lui est imposée, étudie sa nouvelle situation ainsi que la psychologie de son agresseur, et finit par entrer en empathie avec lui, ressentir une certaine affection, voire du plaisir dans les moments partagés. Un plaisir terriblement malsain dans l’absolu, mais parfaitement sincère dans un contexte terrible devenu la nouvelle norme. La personne séquestrée en arrive même, souvent, à pardonner, défendre, voir justifier les actes de celui qui la fait pourtant tant souffrir.
Masochisme à la nippone
Et bien voilà exactement ce qui m’arrive avec Kyary Pamyu Pamyu. Comme beaucoup, j’ai commencé par me brûler ce qui me reste de rétine en visionnant le clip de PONPONPON. Je pensais m’en remettre rapidement, mais c’était sans compter une de mes failles dans laquelle Kyary a eu vite fait de s’engouffrer : mon addiction à l’actu, ma soif de frénésie médiatique. Le buzz international de PONPONPON a eu pour effet secondaire de me soumettre à l’écoute passive de son refrain abrutissant, lequel s’est rapidement gravé au fer rouge en gothique flamboyant dans ma petite tête de pioche, un peu comme l’a fait Gangnam Style dans celle de millions d’autres moutons de par le monde. Au moment où je pensais être enfin insensibilisé par l’accumulation des coups portés toujours au même endroit, voilà que Tsukematsukeru a pris le relai pour frapper ailleurs, et CANDY CANDY encore après cela, anéantissant toute forme de résistance de la part de mon cerveau transformé en un dégueulis de guimauve parcouru par un courant de 14000 volts. Vint alors la phase passive, blasée, déconnectée, où plus rien n’eut d’effet sur moi. Fashion Monster ? Même pas peur ! Furisodeshon ? Une pichenette, même plus je sourcille…
Terré en position foetale dans une des innombrables caves où Yasutaka Nakata, grand gourou du terrorisme electro-pop nippon, séquestre ses auditeurs, j’ai senti le démon s’insérer dans mon esprit. Avant même d’avoir eu le temps de dire ouf, Nakata m’a tuer (sic), et expédié mon cadavre en 1ère classe pour un séjour romantique en tête à tête avec Kyary dans la capitale mondiale de la köttbullar. Le diagnostic est incontestable au vu de ma réaction à l’écoute du premier extrait de Ninjari Bang Bang. Loin de me boucher les oreilles avec la terre battue de ma cellule, loin de protéger mes yeux en enfouissant ma tête sous les trois ballotins de paille qui me servaient de couche, j’ai eu la surprise de voir un sourire s’esquisser sur mon visage. Et de me lever pour me mettre à danser joyeusement dans ma geôle, sans la moindre considération pour les meurtrissures encore mal cicatrisées qui faisaient de mon corps une épave à peine quelques minutes plus tôt. Heure du décès de mon libre arbitre et de mon semblant de bon goût : 13h44.
Complètement folle de mon ninjari bang bang, oui une sorte de ninjari bang bang…
Vous ne comprenez pas ? C’est pourtant simple, l’évidence même. Derrière ses airs d’electro-pop bubblegum peu appétissants, Ninjari Bang Bang est une petite merveille d’énergie positive, tellement effroyablement kawaii qu’on touche au sublime. Ce qui fait tout le charme de cette chanson, c’est son infatigable caractère sautillant, servi par une foultitude de détails dont la combinaison tient du chef d’oeuvre. Il y a la mélodie bien sûr, légère, facétieuse, avec ses synthés sucrés, ses bruitages de jeu video et ses intermèdes de shamisen entraînants au possible qui donnent toute leur personnalité au morceau, évidemment thématisé Ninja et donc mariage entre sons traditionnels et modernes (ouuuh le vilain cliché). Mais il y a surtout la rythmique, aux contre-temps rebondissants, sur laquelle le texte vient se placer de façon exquise. Certes, les couplets manquent d’impact, mais entre une anacrouse délicieuse en début de refrain, des paroles au découpage ciselé où les mots font l’objet de césure en fin de phrases pour enrichir les rimes, et évidemment les habituels jeux de sonorités dans lesquels Kyary et Nakata sont passés maîtres, cette chanson est beaucoup plus travaillée qu’il n’y paraît, et le résultat est imparable. Raison pour laquelle le single tourne en boucle, le plus souvent malgré moi, sur mon PC, en sonnerie de mon téléphone, et surtout dans ma tête au coucher, au réveil, sous la douche, pendant les repas, les séances de sport, les parties de jambes en l’air, les sacrifices de chèvres sur l’autel du temple de ONE OK ROCK et les recueillements sur la tombe de la carrière de Yuna Ito (paix à son âme, elle me manque un peu) (j’avais écrit Ayumi Hamasaki, mais je me suis ravisé car malgré tout j’ai encore trop d’affection pour elle : mon premier séjour à Stockholm, c’était avec elle).
Ninjari Bang Bang, c’est un peu le tiramisu au thé vert, yuzu et framboises de la pop japonaise, sauf que le pâtissier à court de macha a compensé en puisant dans ses réserves d’herbe qui fait rire, si vous voyez ce que je veux dire. Dans ce contexte forcément, on ne s’étonnera pas qu’après ça la piste 2, intitulée Unite Unite, fasse à peu près autant d’effet qu’une piqûre de moustique à un écorché vif évanoui sous la douleur : encéphalogramme plat, pas plus excité d’ailleurs par la version longue de Minna no uta qui traîne en remplissage du CD. Plus décevant, le clip de Ninjari Bang Bang n’est pas à la hauteur de la chanson, notamment de par l’absence très regrettable des danseuses survitaminées qui font tout le charme des lives et autres clips de Kyary.
De façon pour le moins surprenante, non seulement Kyary Pamyu Pamyu et son producteur Yasutaka Nakata démontrent qu’ils n’ont pas complètement usé la recette qui a fait le succès des singles phares du début de carrière de la chanteuse, mais en plus ils nous en livrent ici une exécution qui tient de l’arme de destruction massive. Efficace et addictif comme ses prédécesseurs, ce single possède en prime ce je ne sais quoi de personnalité, de bonnes ondes, de luminosité qui manquait aux titres précédents, et fait que cette fois on se laisse prendre au jeu avec un consentement inconditionnel et enthousiaste.
Après avoir assassiné le bagage culturel et les valeurs de la jeunesse française avec les dessins animés du Club Dorothée,
Après avoir annihilé à tout jamais la crédibilité de toute une génération de cosplayers européens qui aura bien du mal à exercer son autorité parentale sur une progéniture scandalisée par le passé honteux de ses géniteurs,
Après avoir ruiné, avec ses bars à sushi qui prolifèrent sur tous les continents, toute chance d’émergence d’une gastronomie mondiale saine, goûteuse et unifiée sous l’étendard fédérateur de McDonald’s,
Le Japon poursuit donc avec brio son oeuvre de décérébrisation de la population grâce à Kyary Pamyu Pamyu, menace autrement plus sournoise et donc dangereuse pour l’équilibre mondial que les lance-missiles en lego de Kim Jong-Un. Islamophobes, antisémites, homophobes et autres apôtres du bio, ouvrez les yeux : votre terreur est hors sujet et vous masque les vrais problèmes. Si demain, vous ne voulez pas vous retrouver à devoir bouffer du nattô au réveil en guise de petit déjeuner, avec le sourire qui plus est (et croyez-moi, vous ne voulez pas), il vous faut agir sans plus attendre. En ce qui me concerne, c’est déjà trop tard : ma cause est sans espoir, et mon corps et mon âme sont désormais perdus dans le grand Ninjari Gang Bang. Bonne chance à vous !
Après ce poignant post en forme de bouteille à la mer désespérée, je ne puis qu’être inquiet de la contagion qui s’empare de mes réveils tsukématsukéens, de mes subits accès ponponponnesques dans la rue, de la ninjarinbangbangation de mon habitacle automobile…Serais-je donc aussi condamné à cette ‘suéduction’ inéluctable ?
Ninjya re bang bang à juste squatté mon top 25 des pistes les plus écoutées de mon iTunes en à peine deux semaines.
Une vraie arme à destruction massive avec laquelle j’adore m’atomiser le cerveau régulièrement.
Oh ! Une version quasi symphonique, et très…euh…
prometteuse…euh…pathétique…enfin…intéressante !https://youtu.be/6H-sZqyLTOE
Non, on avait dit ‘pas sur la tête’.