Critique album : ONE OK ROCK – Jinsei x Boku wa

S’il est une certitude qui s’est gravée au fer rouge dans le coeur des fans de musique japonaise ces dernières années, c’est que la sortie d’un album de ONE OK ROCK est un évènement qu’il convient de célébrer comme il se doit. Partons du principe qu’il sera bon (on ne peut pas dire que c’est une grosse prise de risque) : il est alors évident qu’il tournera en boucle pendant des mois. Dès lors il faut le découvrir dans de bonnes conditions, pour mieux le déguster. C’est la raison pour laquelle cette chronique est rédigée en direct live de la plage paradisiaque de Jandia, sur l’île de Fuerteventura aux Canaries où, les doigts de pied en éventail, je vais pouvoir profiter pleinement du bijou annoncé, les chakras grands ouverts par la caresse du soleil sur ma peau… (Oui je sais, c’est n’importe quoi cette intro !)

Chroniquer un nouvel album de ONE OK ROCK est un challenge presqu’aussi difficile que celui que doit relever le groupe lui-même : à savoir réussir à ne pas lasser, voire mieux, provoquer l’enthousiasme, avec une nouvelle production qui ressemble trait pour trait aux précédentes. A la surprise générale le quatuor a jusque là relevé le défi brillamment à chaque sortie, et pourtant cela fait un moment que tout le monde annonce que le groupe va irrémédiablement décevoir ses fans sous peu… Je crains de ne pouvoir faire aussi bien, car le fait est que ce Jinsei x Boku wa a effectivement tellement en commun avec les opus précédents qu’il serait impossible de ne pas se répéter.

Ca vous a plu ???? – Ouaaaaais ! – Alors on continue ! – Ouaaaaaais !

J’en veux pour preuve le véritable morceau de démonstration qu’est Ending Story??. Intro murmurée, cris, bout de refrain avec guitares saturées et batterie appuyée, couplets épurés typiques avec une bonne ligne de basse, un enrichissement progressif de l’orchestration, un virage un peu épique, un peu émo aussi, un autre virage teinté de rap avec un beat RnB, des hurlements stéréotypiques du metal américain ou scandinave, le tout servi par une interprétation vocale dantesque… Vous avez demandé un catalogue des aptitudes de ONE OK ROCK, en voilà un, pas tout à fait complet, mais ça vous donnera une bonne idée. Manque de bol, le résultat est un peu froid, la compo manque un peu de charme et le mixage, qui sonne très américain, pourrait gagner en bonnes ondes. C’est un peu le même combat sur la chanson qui clôt le CD : the same as, qui avait fait l’objet d’une sortie anticipée en téléchargement, souffre d’un format très téléphoné avec une ouverture façon ballade piano-voix, puis l’arrivée d’une orchestration rock qui sent trop le réchauffé, en dépit d’une ligne de basse intéressante.

 

Autre modèle du genre beaucoup plus convaincant : ONION!, à la limite de l’insulte tant la chanson a tout de la recette tellement prévisible qu’elle ne devrait plus marcher, et qui pourtant réussit une énième fois à nous embarquer. La force de cette piste ? Une rengaine rock’n'roll diablement efficace qui parcourt l’ensemble du titre, sublimé par Taka qui tour à tour scande puis chante les couplets, démontrant à nouveau son incroyable musicalité, pour finir par tout exploser sur son passage dans des refrains à la prosodie exaltante. Le pire, c’est qu’on ne saurait reprocher à ONE OK ROCK de se reposer sur ses lauriers, car mine de rien, il y a du travail sur cette chanson, avec des tas de nuances disséminées tant sur le phrasé du rap de Taka que dans l’instrumentale : les couplets sont divisés en deux parties, avec des variations d’un couplet au suivant, et toute une foule d’ornementations un peu partout qui enrichissent le rendu final sur une base pourtant extrêmement convenue.

Passons sur la bombe rock The Beginning, thème du film Rurouni Kenshin dont le single a mis tout le monde d’accord et est devenu l’un des grands succès populaires de l’année 2012, et arrivons-en à Clock Strikes!. Là encore, pas de surprise sur le fond : cette fois on est dans le registre de la ballade rock façon c.h.a.o.s.m.y.t.h., introduite par une montée en puissance progressive de la rythmique et de la richesse de l’accompagnement sur les couplets, suivie d’une brève pause qui accouche d’un refrain low tempo à la dramaturgie renforcée par une batterie très appuyée. Là encore la recette est connue, et pourtant le résultat est imparable. Et là encore, le groupe a fait un véritable effort qualitatif pour ne pas nous livrer une énième copie efficace d’un modèle donné. Outre une très jolie ligne mélodique et des choeurs réussis, les arrangements sont particulièrement soignés, avec par exemple des effets de compression radio, parfois appliqués sur la durée d’un simple mot, qui contribuent énormément à enrichir la profondeur sonore des parties chantées. Et puis toujours cette batterie puissante, ces riffs ravageurs, et ces « wowow » sur le pont qui feront le bonheur des spectateurs lors des prochains concerts…

 

La ballade, parent pauvre de cet album

Il ne faut pas rêver toutefois : ce genre d’exercice de démonstration ne peut pas marcher à tous les coups. La preuve avec Be the light, ballade emo épurée en anglais franchement pas passionnante quand on a écouté toutes celles qui parsèment déjà la discographie de ONE OK ROCK. La chanson vaut essentiellement par son message, assez joliment dit bien que bateau au possible : un texte sur le souvenir et la nécessité d’aller de l’avant en s’appuyant sur les expériences difficiles du passé plutôt que de chercher vainement à les oublier. A noter qu’il existe un clip assez réussi de ce morceau, montrant des images de catastrophes un peu partout dans le monde, avec une attention particulière pour le tremblement de terre du Tohoku et le tsunami qui a suivi en mars 2011. Dans la même veine on trouve également All mine, en piano-voix enrichi de violoncelle et autres cordes : une chanson d’amour en anglais qui évoque forcément Wherever you are, sans en avoir la puissance, avec aussi un petit air de Beautiful de Christina Aguilera, allez savoir pourquoi. L’exercice, tout en sobriété, est louable mais malheureusement un peu fade.  Pour en finir avec les ballades, décidément pas bien servies sur ce disque, mentionnons également Smiling Down, cette fois un pur produit d’influence metal/rock américain à la Aerosmith et consors, évidemment très très riche en guitare, mais qui ne touche pas.

 

Les morceaux rock s’en tirent effectivement mieux, notamment les deux faces du dernier single en date : Deeper Deeper / Nothing Helps. Ma préférence va clairement à la première, car Nothing Helps manque de finesse avec ses guitares dans tous les sens, sa basse profonde, sa batterie déchaînée et ses choeurs de metal heroes. Tout ça fleure un peu trop les studios d’enregistrement de Los Angeles à mon goût. Alors que Deeper Deeper, sans être ce que le groupe a fait de mieux, fait preuve d’une belle efficacité. Les couplets sont scandés sur une base electro-punk industrielle avec synths et riffs de guitare, tandis que les refrains explosent dans un rock entraînant avec voix compressée, rien de bien nouveau mais ça marche. Ca marche d’ailleurs surtout, une fois de plus, grâce à l’incroyable engagement et le panel vocal phénoménal de Taka, qui enchaîne montées, décrochés, hurlements, scansions avec un sens du rythme, un groove affolants. Le constat est un peu similaire d’ailleurs sur l’inédite Juvenile, là aussi avec une petite dose d’effets electro sur un son plus garage rock que le reste du CD. La piste vaut moins pour ses cordes limite gothiques sur accompagnement chargé que pour l’interprétation là encore phénoménal du chanteur, qui va finir par épuiser les réserves linguistiques mondiales de superlatifs aveec ses montées impressionnantes qui conservent toutefois tout le charme du grain si caractérisé de la voix de l’artiste. Clairement, c’est un monstre.

Terminons sur la bonne surprise du CD, car il y en a une : 69, un petit bijou qui aurait sans doute frustré sur single et aura besoin d’être sacrément retravaillé pour ne pas être chiant en live, mais qui enrichit énormément l’album en lui apportant enfin un peu d’originalité. La piste est construite sur une boucle de quelques notes de guitare électrique auxquelles se joint rapidement un choeur d’une voix, quelques effets, et une batterie et une basse aux portées très simples. Là dessus, on a d’un côté les couplets : Taka vient parler son texte, avec un débit très élevé, et des effets de compression ou de juxtaposition de voix robotiques qui instaurent une ambiance urbano-futuriste un peu oppressante. De l’autre côté les refrains, tout en rupture, sur une mélodie rock entraînante notamment agrémentée de cordes, courts, sans effusions particulières, mais parfaits dans leurs rôles. Tout cela se succède avec une étonnante fluidité, pour un résultat très réussi qui a en plus le mérite de faire la part belle aux instruments grâce à un pont de toute beauté !

 

Vous l’aurez compris, en dehors de ses ballades, globalement ratées ou inintéressantes, Jinsei x Boku wa est très solide et sera sans doute l’un des meilleurs albums rock de l’année 2013. Peut-être pas le plus jouissif de la discographie du groupe (les deux précédents volaient probablement un cran plus haut encore), mais ce que le CD perd en efficacité pure, il le gagne en travail de recherche, de fignolage sur les arrangements notamment, les petites ornementations apportées à l’interprétation de chacun des musiciens, dont les progrès sont visibles et le niveau aujourd’hui bluffant. Outre le batteur qui n’en finit plus de m’épater, c’est évidemment Taka qui tire le groupe vers le haut, grâce à son timbre si caractérisé, son charisme monstrueux et surtout sa maîtrise vocale qui n’en finit plus de me décrocher la mâchoire. A n’en pas douter, ce petit est l’un des chanteurs rock les plus talentueux de l’archipel, et très probablement de loin le meilleur de sa génération : dire qu’il a failli se perdre dans les méandres insipides de la Johnny’s Jimusho au sein des NEWS., c’est juste impensable ! Pour le reste, un bon album donc, qui fournit encore un peu plus de matière première pour les feux d’artifice que sont les concerts du groupe. La très chouette session acoustique en bonus DVD donne d’ailleurs l’eau à la bouche sur ce que cela pourrait donner sur scène : à quand un interlude plus en douceur au milieu des déferlantes de guitares ? Et cette chronique de se conclure, comme d’habitude, inlassablement, sur le même espoir : celui qu’un jour prochain ONE OK ROCK sortira des frontières de l’Asie pour venir faire de moi le plus heureux des hommes avec un live dans l’Hexagone… Les indicateurs se réchauffant un peu dernièrement, il est plus que jamais temps de crier le plus fort possible dans l’espoir qu’ils nous entendent !

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