L’exceptionnel nouveau single de Hikaru Utada : Sakura Nagashi

Parfois je me dis que je devrais faire du podcast video. Vous y auriez vu la surprise faire sortir mes yeux de leur orbite à la lecture du tweet posté il y a quelques heures sur le compte officiel de Hikaru Utada, mes sauts de joie dans la cuisine, mes gloussements de fan impatient d’écouter le Saint Graal. Vous m’auriez ensuite vu me contenir tant bien que mal parce que je n’étais pas seul au moment où la nouvelle chanson de Hikki a résonné dans la pièce pour la première fois. Et puis les larmes qui coulent à grosses gouttes et tout le tralala sur les écoutes suivantes. Vous l’aurez compris : pour son retour qui n’en est pas un, Hikki m’a littéralement balayé.

Commençons par les faits : Hikaru Utada a mis sa carrière en pause il y a un peu moins de deux ans, après avoir consacré plus de la moitié de son existence à la musique, pour privilégier une expérience de vie plus « humaine » qu’elle estimait lui manquer. En dépit d’une certaine activité sur twitter incitant à croire qu’elle n’avait pas complètement déconnecté avec la composition, rien, strictement RIEN ne laissait supposer l’annonce d’une nouvelle sortie dans un avenir proche. Et puis soudain, 17h41 ce soir, un tweet totalement inattendu, à peine croyable : « My new song+video, viewable for 3 days.[...] Booyah! ». Hikki sort donc une nouvelle chanson, disponible au téléchargement (et déjà n°1 des ventes sur iTunes alors même que l’annonce intervient en pleine nuit sur le fuseau horaire nippon), avec un clip mis en ligne sur le channel youtube officiel de l’artiste. Intitulée Sakura Nagashi, la chanson fera également l’objet d’une sortie en DVD single le 26 décembre prochain.

Ce qui a fait sortir la chanteuse de son hibernation, c’est le nouveau film d’Evangelion. Grande fan de la série, Hikki avait déjà signé le thème des deux premiers opus, et n’a pas résisté à l’appel de Hideaki Anno qui la voulait absolument au générique de celui-ci. Si les fans ont longtemps espéré un retour à cette occasion, plus personne n’y croyait dans la mesure où aucune annonce n’avait été faite à moins d’une semaine de l’arrivée du film en salles. Le staff du studio Khara comme celui d’Utada ont donc parfaitement réussi leur pari : en balançant toutes les infos au dernier moment, le jour-même de la sortie du film, ils s’offrent une puissance de frappe marketing démesurée grâce à la combinaison de deux évènements très, très attendus. Lorsque le public nippon se réveillera dans quelques heures, croyez-moi, ça va lui faire tout drôle ! La maison de disques de Hikaru Utada n’a cependant pas laissé aux fans le temps de trop s’enflammer : il est clairement stipulé que le retour de la star n’en est pas un, il s’agit d’un one shot à l’occasion de la sortie du film, qui ne remet pas en question une seule seconde sa décision de se retirer du marché musical pour une période indéterminée.

La claque !

Bien avant que l’on en imagine ne serait-ce que l’existence, les attentes qui pesaient sur les épaules de ce Sakura Nagashi étaient immenses. Gigantesques même, dans un marché apathique dont la couche la plus commerciale n’a vraiment pas grand chose d’enthousiasmant à offrir, entre les innombrables groupes dérivés de AKB48 et autres Johnny’s eux-mêmes en perte de vitesse. Le constat est d’autant plus frappant dès les premières secondes de cette nouvelle chanson de Hikki, car il suffit de cela pour comprendre que Sakura Nagashi est tout simplement ce qui s’est fait de mieux dans le paysage musical japonais depuis… au moins les titres inédits du dernier best-of en date de la chanteuse.  C’est à dire depuis près de deux ans. Entre Utada et le reste de la production nippone, il y a vraiment un monde. Pour ne prendre qu’un seul exemple (et sans vouloir opposer deux fanbases qui ne se sont pas toujours bien entendu), un titre comme le récent Missing d’Ayumi Hamasaki, plébiscité par les fans, paraît bien fade en comparaison, et surtout il n’apporte tellement, tellement rien au marché musical ni même à la discographie de son interprète…

 

Sakura Nagashi est un monument d’émotion, sobre bien que riche et très abouti, tout en subtilité et en solennité. Tout y est dosé avec une absolue justesse : l’intro au piano, légère, délicate; le couplet, lent, grave, chaloupé, dans un duo piano-voix déjà sublime; les notes de guitare électrique, aux aigus déchirants, qui s’égrainent progressivement, un peu comme sur Passion; et puis bien sûr le « refrain », si tant est qu’on puisse l’appeler ainsi puisqu’il se résume à une phrase, « Everybody finds love… » conclu sur un « …in the end » d’une telle grâce que tous les instruments se taisent tout à coup pour le laisser sonner. Dieu que c’est beau… La composition (réalisée en collaboration avec un certain Paul Carter) est majestueuse, tout sauf linéaire. Un break instrumental suit le deuxième couplet, avec une montée en puissance orgasmique appuyée par une batterie et un deuxième refrain réduit à sa plus simple expression, enchaîné sur une partie vocale finale qui tient de l’apothéose. Exit les synthés un peu désuets, l’orchestration est de grande qualité, le mixage du titre est exceptionnel, la résonance des différents instruments est superbe, tandis que la voix se détache de l’accompagnement avec beaucoup de clarté et d’impact.

Pour ne rien gâcher, les paroles sont  terriblement poignantes, à la fois sereines et d’une grande tristesse. C’est une ode à la vie évoquant la nécessité, en ces temps difficiles, de chérir les choses simples que l’on aime, qui nous sont proches, ce que l’on a de tangible, d’acquis, pour ne pas se retourner plein de regrets le jour où, inévitablement, on aura tout perdu. Mentionnons également le très joli clip, extrêmement sobre (où Hikki n’apparaît pas), qui aborde le thème de la maternité, avec notamment à l’image un bébé tétant le sein de sa mère qui fera sans doute pas mal de bruit dans un pays où ce genre de scène relève de l’extrême intimité. Et pour couronner le tout, les fans se réjouiront de découvrir une jaquette signée Yoshiyuki Sadamoto, character designer d’Evangelion, qui a pour l’occasion dessiné un superbe portrait de profil de la chanteuse.

Le nouveau single de Hikaru Utada est un pur travail d’orfèvre, un chef d’oeuvre sur toute la ligne comme la scène commerciale japonaise n’en produit plus depuis longtemps. Le succès est évidemment garanti, et la première réaction de l’artiste sur twitter incite à penser qu’elle ne s’attendait pas à être propulsée si vite, si facilement au top des ventes. Il faut dire que dans un pays où toute absence un peu trop longue vous condamne à l’oubli, ses doutes étaient légitimes. Mais Hikki fait partie du patrimoine culturel nippon, et surtout son talent exceptionnel, peut-être le plus éclatant dans l’histoire de la musique japonaise, transcende les genres et les générations. Comme si rien n’était, elle nous parachute sa nouvelle chanson comme pour nous rappeler que la plus grande, c’est elle, avec pour effet de bord de nous rappeler aussi que tout le reste ne lui arrive pas à la cheville. Et manque de bol, ce n’est qu’un petit tour et puis s’en va. L’attente n’en sera que plus douloureuse…

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