Critique album : Namie Amuro – Uncontrolled

Deux jours. Deux jours sans aucune apparition TV auront suffi à Namie Amuro pour exploser avec Uncontrolled les ventes totales des derniers albums respectifs en date d’Ayumi Hamasaki et Kumi Koda. A bientôt 35 ans et alors qu’elle célèbre le 20ème anniversaire de sa carrière, Namie confirme sans conteste son statut retrouvé de reine de la pop japonaise, et ce nouvel album devrait atteindre sous peu la barre des 500.000 exemplaires écoulés. Voilà qui prouve que le Japon a bien changé : il fut un temps où passé 25 ans, toute chanteuse était définitivement étiquetée comme périmée et condamnée à un lent et douloureux oubli sans retour. Aujourd’hui, les media se battent pour relayer la moindre news, le moindre bout de vidéo fourni par le staff de Namie, laquelle n’a plus qu’à faire son traditionnel tour des studios photo pour enchaîner les couvertures de magazines, et quelques shows radio où des milliers de personnes se pressent systématiquement pour tenter de l’apercevoir quelques minutes. Les centaines de milliers de places de son prochain Dome Tour se sont même écoulées en l’espace de quelques heures. Un luxe !

Namie Amuro – Uncontrolled

Uncontrolled, le 10ème album original de Namie Amuro, est à la fois dans la continuité artistique logique de l’opus précédent Past, et totalement différent dans le concept. Past se voulait être une rupture avec toute la période qui avait précédé Best Fiction, un retour à une dominante pop modernisée après quelques années dans une veine hip-hop/RnB. L’album comprenait pas moins de 10 titres inédits concrétisant ce nouveau leitmotiv, et les fans se sont réjouis d’être aussi bien nourris. Uncontrolled poursuit sur la même ligne pop en assumant pleinement le virage électro/dance amorcé dans les premiers singles qui en sont tirés. Mais le disque ne comprend que 4 nouvelles chansons pour 9 déjà connues du public, un ratio défavorable auquel Namie ne nous avait pas habitués. L’autre sujet à polémique, c’est le choix d’interpréter une bonne partie de ces pistes inédites, mais aussi de reprendre plusieurs des singles, intégralement en anglais. Namie Amuro qui chante dans la langue de Shakespeare, ça fait un peu le même effet que votre moitié qui vous taille une pipe avec les dents : on a beau l’aimer beaucoup, son incompétence est difficile à ignorer et gâche un peu tout…

Un album loin d’être aussi frustrant, sinon décevant, qu’il n’y paraît…

A y regarder de plus près, il n’y a pourtant pas forcément à se plaindre de ces choix « éditoriaux ». Tout d’abord la composition de l’album : certes il n’y a que 4 inédits, mais ils sont tous solides, et viennent compléter une tracklist déjà riche de tout un tas de chansons fortes pour former un ensemble d’une valeur moyenne très convaincante. Les « pistes de remplissage » généralement inévitables  ne sont pas de la partie : le pire que l’on nous propose, ce sont certains titres qui ont pu paraître faibles ou frustrants en tant que singles (NAKED, Fight Together…) mais qui font très bien le boulot intégrés au sein de l’album. Si bien que dans sa globalité, et notamment pour ceux qui n’auraient pas forcément écouté ou acheté les derniers titres de Namie Amuro, Uncontrolled se présente comme un disque bourré de ressources et de grande qualité.

Quant à l’anglais, les titres inédits sont beaucoup moins douloureux que ce à quoi on aurait pu s’attendre, ce qui prouve que Namie a bossé. Alors bien sûr, la musicalité de la langue japonaise sonne beaucoup mieux dans la bouche de l’artiste, et son absence est frustrante, en particulier dans GO ROUND et YEAH-OH qui nous avaient laissé le temps de nous conditionner aux paroles nippones lors de leur sortie single. Mais il n’y a honnêtement pas de quoi crier au scandale, et surtout c’est un tremplin exceptionnel pour ouvrir à Uncontrolled des horizons beaucoup plus larges. J’ai personnellement fait l’expérience d’avoir fait écouter plusieurs chansons de Namie Amuro à des amis n’ayant aucune familiarité avec la Jpop. Verdict le plus courant : « ah ouais, c’est pas mal du tout… mais la barrière de la langue est trop dure à passer, j’irai pas écouter ça spontanément. » Avec ces titres 100% anglophones, test à l’appui, le problème est réglé. Et c’était sans doute le but, à en juger par la tournée promotionnelle que la chanteuse a effectuée à Taïwan, Hong Kong ou encore Singapour : ouvrir un destin asiatique à ce CD, pour pallier à la chute inexorable des ventes de disques sur le marché japonais. Mission accomplie, puisqu’Uncontrolled s’est retrouvé en tête des ventes dans pas moins de 5 pays différents.

Une débauche de moyens pour une dimension nouvelle

Prenons donc cet album pour ce qu’il est, c’est à dire un tout, et faisons un bref passage en revue. Le premier inédit, In The Spotlight (Tokyo), est un hymne dance en forme d’hommage à la scène club nippone, qui tient de la pure bombe commerciale. Armée de basses percutantes, la piste explose dans un refrain certes répétitif mais ô combien jouissif, qui démontre d’emblée que Namie Amuro est faite pour ce genre de titres. La compo et les arrangements sont signés par la team de RAZOR BOY MUSIC PUBLISHING, à laquelle on doit près de la moitié des chansons de l’album dont les quatre nouveautés. Les jumelles Nervo et leurs acolytes, collaborateurs entre autres de David Guetta, Armin van Buuren, CHARICE, Kylie et Dannii Minogue ou encore Ke$ha, prennent ainsi la place de Nao’ymt, actionnaire majoritaire des derniers opus de Namie qui était franchement usé jusqu’à la corde. Force est de constater que cet apport d’envergure internationale, rééquilibré par des arrangements et un mixage confiés à des équipes japonaises, donnent à Uncontrolled une nouvelle dimension : même cause, mêmes effets donc que pour l’excellent JAPONESQUE de Kumi Koda sorti il y a quelques mois.

J’avais déjà évoqué l’impression de froideur, caractéristique de beaucoup des travaux de Shinichi Osawa que m’avait laissé NAKED; mais dans le contexte de l’album, le titre est plutôt bien équilibré par ceux qui l’entourent et s’avère plaisant. Si GO ROUND (‘N ROUND ‘N ROUND) sonnait bien mieux avec ses quelques lignes de japonais, force est de reconnaître que la chanson mixe toujours aussi bien le savoir-faire des Nervo en matière de compos synthétiques avec les atmosphères girly et légères chères à Namie et cette rythmique mid-tempo qu’affectionnent tant les japonais. Sit! Stay! Wait! Down! n’a pas pris une ride, et je reste sur mon avis passé quant à ses qualités et ses défauts. Le concept de Hot Girls lorgne un poil trop à mon goût du côté du Run The World (Girls) de Beyonce, dans une version un peu moins tribale et revendicative, un peu plus féminine; mais la recette prend plutôt bien grâce à une composition efficace. Réarrangée avec une surdose de guitare électrique (un peu comme Violet Sauce (Spicy) sur l’album PLAY), Break It reste parmi mes morceaux favoris, à la faveur notamment de ses basses appuyées et son refrain agressif au charisme ébouriffant ! Dans le même genre, et avec une construction tout à fait similaire, Let’s go est tout aussi convaincante, et l’on ne pourra que se réjouir des quelques vers en japonais qui viennent apporter une dynamique percutante à souhait au refrain.

Du côté des mid-tempo saturés en nappes de synthé, je reste peu client de la recette, en particulier sur le très prout-prout Fight Together dont j’ai déjà eu l’occasion de parler il y a quelques mois. ONLY YOU me laisse une impression un poil meilleure, car bien que niaise au possible et complètement téléphonée, la piste dispose tout de même d’une mélodie qui reste bien scotchée dans la tête. Restent les ballades, au nombre de trois, où le pire côtoie le meilleur. Oublions la dégueulade de beuglements monocordes et grandiloquents qu’est Tempest pour rappeler plutôt l’excellente surprise qu’était Love Story, qui a fait du chemin depuis sa sortie single pour devenir une de mes ballades préférées de Namie, toute en sobriété avec un refrain qui fait gentiment se balancer la tête, comme on les aime. Quant à Get Myself Back, elle est un peu à mi-chemin entre Love Story et ONLY YOU tant au niveau du tempo que pour la composante électronique des arrangements, et séduit elle aussi par un refrain plutôt entêtant.

Les clips

Pour finir, un mot sur les vidéos. La version CD+DVD regroupe pas moins de 11 clips, dont un pour chacun des titres inédits de l’album. Après avoir multiplié les chorégraphies décevantes et mal filmées ces derniers temps, Namie avait relevé enfin le niveau avec YEAH-OH, dont le clip m’avait totalement séduit. Et bien surprise : en dépit d’un virage assumé vers la dance music 100% pur jus et des chansons taillées pour cela, pas une seule chorégraphie à se mettre sous la dent parmi les nouveaux PV de cet album. Namie choisit de rester dans son rôle de chanteuse porte-manteaux, et le fait ma foi toujours très bien. A 35 ans bientôt, peut-être a-t-elle pris conscience que ses pas de danse à l’économie ne font pas le poids face à la jeune génération, stars de la kpop en tête, et qu’il vaut mieux les bosser bien une fois de temps en temps plutôt que de livrer un service minimum sur chacune de ses sorties. Reste à voir si cette nouvelle orientation sera confirmée en live, à l’occasion du grand concert anniversaire donné à Okinawa en septembre prochain, ou du fameux Dome Tour qui suivra…

 

J’en suis le premier surpris, mais cet Uncontrolled tourne en boucle depuis sa sortie, y compris une bonne partie des titres édités en single depuis tout de même deux ans pour certains. Voilà qui démontre de manière indubitable la puissance de cet album, qui bien que frustrant sur le papier présente un bilan plus qu’enthousiasmant. Les compos sont bien fichues et d’une envergure toute autre que les productions vieillissantes de Nao’ymt, les arrangements efficaces et très bien mixés, et Namie fait merveille dans ce registre dance qui est celui dans lequel elle a baigné dès ses débuts, la maturité et l’intelligence en plus dans la balance des graves et des aigus nettement moins beuglés qu’il y a quelques années. On pourra certes être un poil gênés par l’anglais beaucoup trop présent, mais si c’est le prix à payer pour permettre aux artistes japonais d’être plus faciles d’accès aux oreilles du reste du monde, et bien ainsi soit-il : après tout, des groupes de rock comme ELLEGARDEN ou ONE OK ROCK ont démontré depuis longtemps que l’usage fréquent de l’anglais ne leur avait pas fait perdre leur âme pour autant. Restent que si les années passent sans avoir d’emprise visible sur Namie Amuro qui reste toujours aussi rayonnante, elles pourraient bien avoir eu raison de son objectif de rester n°1 sur le terrain chant+danse au Japon. Il n’y a plus qu’à espérer que ce soit un mal pour un bien, avec un recentrage chorégraphique moins quantitatif et plus qualitatif que j’espère de longue date. Avec 20 ans de carrière au compteur, Namie semble en tout cas parfaitement épanouie, et pas une seconde décidée à lever le pied. Une news sur son site officiel qualifiait Uncontrolled de « premier album original de cette année de célébration du 20ème anniversaire », une tournure qui laisse à croire qu’un second opus pourrait être mis en vente d’ici la fin de l’année. Connaissant Namie, il serait toutefois surprenant qu’il s’agisse d’un album classique, si rapidement après le précédent. Il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour qu’un album concept (collaboratif ?) soit en chantier, même si la piste du « Complete Singles » agrémenté d’une ou deux nouvelles chansons (dont Damage, titre inédit annoncé comme thème d’un film prévu pour cet automne) est malheureusement, de loin, la plus probable… Sans doute ne faut-il pas trop en demander !

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