Critique album : [Champagne] – Schwarzenegger

[Champagne] n’est pas à proprement parler un nouveau venu sur la scène rock indépendante nippone. Actif depuis 2007 et avec déjà trois albums à son palmarès, ce quatuor dont les membres accusent déjà presque tous la trentaine ne manque pas d’expérience. Mais le fait est qu’avec son troisième opus, sorti le 4 avril 2012, [Champagne] a franchi un nouveau palier : celui d’une certaine forme de reconnaissance publique. Troisième du top albums le jour de sa sortie, dixième au classement hebdomadaire, cette nouvelle galette folkloriquement intitulée Schwarzenegger a clairement permis de braquer les projecteurs sur le groupe, et c’est donc l’occasion de le présenter à ceux d’entre vous qui ne le connaîtraient pas !

Ne vous fiez pas à leur air sage, à leur son propre et à l’anglais impeccablement nasal presque stéréotypique de Yoohei Kawakami, chanteur et guitariste leader du groupe : [Champagne] n’est pas une de ces innombrables formations soft rock interchangeables dont la scène musicale indépendante japonaise regorge. Le groupe revendique assez justement l’influence d’Oasis dans ses compos, et pourrait tout aussi bien se réclamer d’Arctic Monkeys, sans manquer d’humour ni d’audace. Outre un premier album sobrement intitulé Where is my potato?, [Champagne] s’est notamment distingué dans l’exercice très difficile de la reprise d’un classique rarement revisité : le fameux supercalifragilisticexpialidocious, fer de lance d’une énième compil de thèmes estampillés Disney. Et c’est bien sûr sur scène que le quatuor a forgé l’essentiel de sa réputation, à l’occasion de nombreuses tournées lors desquelles il a notamment côtoyé ses aînés de TRICERATOPS, et un autre excellent groupe lui aussi très anglais dans l’esprit : OCEANLANE.

Un petit bijou accessible à tous qui révèle ses différentes facettes au fil des écoutes

Sur ses deux premiers disques, déjà très probants, [Champagne] naviguait entre une base punk (moins californienne toutefois que celle, très caractéristique, d’ELLEGARDEN) et des accents très alternatifs évoquant Jamiroquai ou Lenny Kravitz, le tout sur des rythmiques le plus souvent enlevées laissant une belle part aux guitares et, tout de même, au travail sur la mélodie. Pour son troisième opus, et cela explique sans doute en partie le succès de celui-ci, le groupe semble s’être reconnecté avec ses racines japonaises, et propose un son, mais surtout une atmosphère plus nuancés. L’intro suffit à donner le ton : on y passe de l’ambient à un trip-hop musclé, puis à un electro-rock aux guitares saturées dans les basses, avant d’embrayer sur le classy El Camino, dont les couplets jouent eux aussi sur les changements d’ambiance avec des couplets jazz-rock low tempo dépouillés aux cordes résonnantes, et des refrains où les guitares roulent sur une batterie vitaminée. Tour cela dans une cohérence bluffante. Tandis qu’une guitare espagnole sous acide sert de base à Waitress, Waitress!!, dans un registre garage qui paradoxalement parvient à conserver une réelle douceur, le premier coup d’éclat du disque arrive très vite avec Dear Ennemies, un titre rock’n'roll aux couplets bourrés de petites nuances, et purement efficace sur les refrains. Plus léger, plus mélodique, Kiss The Damage est un bon exemple du mariage d’influences nippo-britanniques qui ressort de ce disque, avec un travail absolument brillant sur l’enrichissement des arrangements et de l’interprétation autour d’un schéma couplet-refrains très traditionnel. Une vraie perle, qui conjugue les impératifs commerciaux avec une indéniable recherche de musicalité. Même verdict en fin d’album pour Kids, à la fois frénétique et planant, plein de subtilités rythmiques.

A ceux qui doutaient de la filiation avec Oasis, on recommandera l’excellent single spy, variation japanisante à la progression subtile sur l’exercice de la ballade fleuve qu’affectionnaient tant les frangins anglais, ou encore Mayonaka, l’ultime chanson de l’album, une autre ballade rock classique mais bien fichue. L’autre single du CD, Ie, un rock’n'roll logiquement assez formaté, offre une orchestration vraiment plaisante tant les instruments sonnent bien, à commencer par la batterie, jouissive, qui donne toute son efficacité à la chanson. Dans un registre plus punk-garage qui n’est pas sans évoquer ORANGE RANGE, Pa Pa Pa Pa Pa alterne à merveille les ambiances, tout comme plus loin Kill Me If You Can dont le pont surprend agréablement par sa luminosité et son ampleur au sein d’une chanson rock métallique pur jus teintée d’électronique (la chanson ressort sur un maxi-single courant juillet dans une version remastérisée). L’interprétation n’est pas en reste, et le très industriel Girl in a Black Leather Jacket sort lui aussi du lot lorsque Yoohei interrompt tout à coup la musique pourtant chargée pour apostropher ses compères et leur demander de lui rafraîchir la mémoire sur la tenue de la fille dont il est question dans les paroles. Pour compléter le panel, [Champagne] fait aussi dans la folk acoustique à tendance humoristique avec 12/26 Ikou no Nenmatsu Song

Pour employer une formule caricaturale, mais qui a le mérite de dire ce qu’elle a à dire, Schwarzenegger s’impose sans nulle contestation possible comme l’album de la maturité pour [Champagne]. Il n’y a absolument rien à jeter sur ce disque, qui explore les différents registres de la musique rock avec à la fois brio et modestie. Les arrangements sont extrêmement léchés, et l’on se surprend au fil des écoutes à découvrir les subtilités dans les lignes de basse ou de guitare qui se cachent derrière les, plus évidents mais non moins réussis, innombrables changements de rythme et de styles musicaux au fil et au sein des différentes pistes du CD. Même sur le plan du mixage il y a  de la variété, certains titres ayant même été enregistrés dans les conditions du live, tous les instruments ensemble. Si l’album ne comporte pas vraiment de morceau spectaculaire à l’impact commercial évident, l’ensemble est impressionnant de cohérence et de richesse, et le niveau global des compositions est tout simplement excellent. Nul doute qu’il y a là de quoi ravir le panel très éclectique de goûts musicaux qui compose la fanbase du rock nippon en France, et bien, bien au delà !

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