Le Japon, bientôt premier marché musical du monde ? (bis)

Chaque année, la RIAJ (Recording Industry Association of Japan) publie en avril son rapport sur les tendances du marché musical japonais pour l’année passée. Et chaque année, personne n’en parle, jusqu’à ce que je me décide à le faire, alors que ce sont sans doute les chiffres les plus importants de l’année : merci au web jpop de me donner l’illusion de servir encore vaguement à quelque chose ! :p Bref, j’en étais resté l’année dernière sur une question pleine de promesses : « Le Japon, bientôt premier marché musical du monde ? ». En effet, exprimée en dollars, la différence entre le chiffre d’affaires du marché américain et celui du marché nippon n’était plus que de 800 millions de dollars en 2009 contre 3,8 milliards en 2008. Et bien non, le marché japonais n’a finalement pas pris le dessus sur le marché US en 2010. Mais ça s’est joué à très, très peu de choses…

RIAJ

Comme d’habitude, un petit tour des chiffres à commencer par ceux de la production, directement corrélée aux ventes : 210 millions d’unités pour les supports physiques audio (-2%), 46 millions d’unités pour les vidéos musicales (-21%), et 441 millions d’unités pour le téléchargement (-6%) : si le CD se maintient étrangement bien, pour la première fois depuis 2005 et le début des statistiques sur le téléchargement légal, celui-ci décline; quant aux videos, elles connaissent une baisse dramatique. En termes de chiffres d’affaires le constat est nuancé : -10% pour les singles et albums, témoignant d’une baisse globale des prix; -12% pour les videos, dont le prix a par contre augmenté; et -5% pour le téléchargement. Le marché est donc ainsi réparti : les CDs représentent une part stable de 61% du CA global (contre 72% en 2007), les DVDs perdent un point à 16% et la musique digitalisée prend tout de même un point à 23%.

Dans le détail, du côté des supports physiques, ont été mis en rayon 50,6 millions de singles en 2010 (en rebond de 13% notamment dû au succès de AKB48 et Arashi), pour un total de 37,3 milliards de Yens (+9%). Les albums représentent ne représentent plus que 74% du CA du marché musical contre 85% l’an dernier, avec 156 millions d’unités pour 185 milliards de yens de recette, en baisse de 13%. Enfin, les ventes de DVDs baissent donc de 22% à 45,9 millions d’unités, pour un CA en baisse de 14% à 56,5 milliards de yens. La production totale continue sa chute et confirme son plus bas depuis 1988 avec un total de 256 millions d’unités mises en vente. En valeur c’est pire encore : avec seulement 283,6 milliards de yens de chiffre d’affaires, on revient au niveau de 1985 !

Au téléchargement, Internet continue sa progression escargot : elle représente aujourd’hui 12% du marché digital, contre 11/10/9/8/5 les années passées. 49,5 millions de titres ont été acquis sur internet, et 391,8 millions ont été téléchargés sur téléphone mobile pour un total pesant 86 milliards de yens, en recul pour la première fois (-5%). Le plafond qui semblait atteint l’an passé se confirme donc avec cette baisse, les limites du téléchargement légal semblent bien être atteintes. La RIAJ fournit comme d’habitude des statistiques détaillées par format. Ainsi sur internet, le nombre de singles vendus est en hausse de 5% à 44,6 millions d’unités. La hausse s’élève à 12% pour les albums (2,85 millions d’unités) et 16% pour les clips (2,02 millions de téléchargements). Sur téléphone mobile, le chaku-uta continue sa chute (-16% pour 131 millions de téléchargement après déjà 16% perdus l’an dernier) et le chaku-melo reste quasi-stable (113,3 millions); le chaku-uta full perd 4%, autour de 138 millions d’unités. Quant aux videos sur téléphone, la grosse baisse amorcée l’an dernier se calme un peu, avec tout de même un repli de 7% en volume et 2% en valeur.

Comme d’habitude, un mot sur la diversité, avec les statistiques par titres. Les maisons de disques nippones confirment la tendance au renoncement, après avoir cherché pendant quelques années à compenser la baisse des ventes moyennes de chaque single ou album par un nombre de sorties plus important. En 2010,  avec un volume de sorties qui atteint son plus bas niveau depuis 2005 : 2718 titres différents sont sortis en singles (contre 2860 en 2009), 11305 albums (contre 15054 en 2009, un repli considérable !) et 1254 DVDs (contre 1540). Des valeurs qui ressemblent fort à celles du début des années 2000, dans un contexte toutefois complètement différent : à l’époque, les ventes étaient concentrées en un nombre limité de sorties à très très gros succès, alors qu’aujourd’hui à l’exception notable des groupes Arashi et AKB48 il n’y a plus vraiment de valeur sûre. Reste que dans tout cela c’est une nouvelle fois le repli sur soi du marché nippon qui se confirme : les artistes internationaux voient à nouveau leur part de marché globale diminuer fortement (production singles en baisse de 37%, production d’albums en baisse de 14%) au profit des artistes dits « domestiques » (qui comprennent également les sorties en langue japonaise sur une maison de disque japonaise d’artistes coréens). Singles et albums confondus, le nombre de titres commercialisés d’artistes « domestiques » grimpe de 4%, contre une chute de 14% pour leurs confrères internationaux.

Le constat de renoncement prend une dimension supplémentaire en 2010 avec la chute du nombre d’artistes ou groupes ayant fait leurs débuts pendant l’année. On avait battu un record historique en 2008, approché de peu en 2009, ce qui témoignait des efforts réalisés par les labels pour tenter de trouver de nouvelles locomotives au marché. C’en est fini de ces efforts : 363 nouveaux artistes ont débuté en major en 2010 contre 512 et 505 respectivement en 2009 et 2010. Seule véritable bonne nouvelle : la présence d’un single millionnaire au palmarès des ventes en 2010 : Beginner des AKB48 est le premier single à dépasser le million d’exemplaires vendus au Japon depuis 2007. Ca va mal par contre au rayon albums où seulement 3 titres ont franchi la barre du million, un plus-bas au moins depuis le début des années 2000. Au format numérique également la déception est de mise : de 8 titres chaku-uta full millionnaires en 2008 on est passé à 7 en 2009, pour arriver à seulement 2 en 2010.  

Petite nouveauté depuis le rapport 2009 : des statistiques sur l’âge des consommateurs de musique par format. La tendance exprimée l’an dernier se confirme cette année : les principaux acheteurs de musique au Japon sont à chercher parmi les trentenaires et quadragénaires ! Ceux-ci représentent 41,8% des ventes de CDs, 48,2% des téléchargements sur internet et 41,5% des téléchargements sur téléphone. Derrière, on retrouve les moins de 30 ans avec 32,7% des ventes de CDs, 37,8% des téléchargements sur le web (en hausse de 9pts sur une année) et 47,7% des téléchargements sur téléphone (également en hausse, plus mesurée). Le reste étant logiquement attribué aux plus de 50 ans… Le retour en force tout de même constaté des jeunes sur ces trois secteurs incite à penser que le pouvoir d’achat de ceux-ci s’est sensiblement amélioré l’an dernier, mais il est aussi à corréler au succès colossal d’Arashi et surtout des AKB48. On constate également une réappropriation de l’outil Internet par la jeune génération, qui explique peut-être la baisse inédite des ventes au format chaku-uta…

Le bilan de cette année n’est guère plus brillant que celui de l’an dernier, en dépit d’un léger sursaut du marché des singles. Mais il reste à aborder le point de la place du Japon sur le marché international, où les chiffres ont pour le coup un an de retard. En 2008, la chute du marché américain et l’appréciation du yen avaient considérablement réduit l’écart entre les Etats-Unis, premier marché mondial, et leur dauphin japonais. Au point qu’on pouvait imaginer que si le contexte perdurait, les positions seraient susceptibles de s’inverser. Finalement c’est le statu-quo, mais de peu : avec un chiffre d’affaires de 4,24 milliards de dollars (397 millions de yens) en baisse de 18%, le Japon restait en 2009 deuxième marché du monde derrière les USA (4,56 milliards de dollars) en baisse de 20,8%. L’écart est donc passé de 3,8 milliards de dollars en 2007 à 806 millions en 2008 et 318 millions en 2009 ! Sur cette base, l’inversion pourrait se produire sur les statistiques de l’année 2010, où le ralentissement du marché japonais s’est a priori avéré moins marqué qu’aux Etats-Unis. Mais même si cette « victoire » était confirmée, il ne faudrait pas se réjouir trop vite, car le premier semestre 2011 est pour sa part marqué par une petite reprise aux USA tandis que le marché nippon a tourné court, plus encore à la suite du séisme du mois de mars.

Pas grand chose de remarquable à signaler dans le reste du classement mondial : Allemagne et Grande Bretagne devancent toujours la France, cinquième du classement mais qui connaît un recul très mesuré (-3,6% en valeur à 834 millions d’euros). A noter que si le marché sud-coréen affiche également des chiffres en baisse (-5,2% en valeur), il gagne tout de même 2 places pour se retrouver… 24ème. Un succès qui reste donc relatif et continue d’expliquer la grande ambition des labels coréens à s’exporter dans des contrées plus juteuses. Toujours en Asie la Chine, par contre, chute de 9 places, en 39ème position. Enfin, parmi les rares pays qui progressent, notons un tir groupé en bas de classement de Taiwan (+3,4%), l’Indonésie (+4,2%) et surtout les Philippines (+14,2%).

Rendez-vous l’an prochain pour assister, peut-être, au sacre du Japon comme premier marché musical du monde !

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