Le manque de temps restant encore d’actualité (mais je vois le bout, enfin), voici un billet global pour faire le point sur les différentes annonces de ces dernières semaines. Histoire aussi de répondre aux messages que j’ai reçu dernièrement à ce sujet, du genre « les Momusu en concert payant à la JE, t’en penses quoi ? » ou encore « Soundlicious a vendu son âme au diable, si t’oses encore  les soutenir après ça tu perds définitivement toute crédibilité »…

Les fans – et les autres – se déchirent depuis quelques semaines sur les rares blogs, sites et forums nippophiles encore en vie, celui de Nolife en tête, au sujet de la venue annoncée des Morning Musume à la JE dans le cadre d’un concert payant. Il y a ceux qui sont contents et ceux à qui la nouvelle donne la nausée, ceux pour qui le fait d’avoir à payer pour ça est odieux et ceux qui se montrent compréhensifs, ceux qui tapent sur la JE ou sur Soundlicious et ceux qui les soutiennent… Au risque d’en décevoir plus d’un, je crains que ma position ne soit pas suffisamment radicale pour que je puisse décemment céder à la tentation, évidemment très grande, de pondre un brûlot en règle. Aussi vais-je essayer de faire le tri dans les infos et de livrer un commentaire qui se tienne à peu près…

Un concert payant à la JE ?

Ma foi, l’idée ne me choque pas. Tous ceux qui ont côtoyé de près ou de loin la réalité professionnelle du « marché Jpop français » savent que les grandes majors japonaises n’ont aucun intérêt à faire venir leurs artistes les plus prestigieux en Europe : pour le prix que coûte l’organisation, la logistique et le déplacement pour un concert en France, même pas assuré d’être plein, un groupe nippon se paye une tournée de 5 à 10 dates dans l’archipel, avec une audience multipliée d’au moins autant et des bénéfices évidemment beaucoup plus conséquents. Aussi tout le monde sait-il que la seule chose qui pourrait convaincre un gros label de nous amener un de ses artistes, c’est qu’une grosse structure casse sa tirelire pour lui assurer des recettes motivantes. Et la seule grosse structure qui peut inspirer suffisamment de confiance aux japonais aujourd’hui, tout en offrant un cadre suffisamment vaste pour donner du prestige à l’évènement, c’est la SEFA avec la Japan Expo.

Vous m’objecterez probablement qu’avec le prix exorbitant des entrées à la JE, multiplié par une fréquentation en croissance exponentielle ces dernières années, les organisateurs de la Japan Expo ne sont certainement pas à plaindre. Encore moins quand on connaît le tarif au m² que les boutiques payent pour leurs stands (généralement elles s’y retrouvent tout de même assez bien hein, on ne les plaindra pas non plus). Et ce sans parler d’une politique salariale particulièrement radine, ni d’une utilisation plus qu’abusive des bénévoles et autres stagiaires exploités comme des petits chinois dans une manufacture en sous-traitance pour H&M, ou presque. Mais on ne pourra pas légitimement accuser la SEFA de ne faire que se foutre du pognon plein les poches sur le dos des fans : le fait est que chaque année la société enchaîne les coups d’éclat avec toujours plus d’innovations, et en invitant toujours plus d’artistes prestigieux, au prix d’un réinvestissement sans doute conséquent des bénéfices de l’édition précédente. Elle donne aux fans ce qu’ils veulent, elle vend du rêve (huhu), ça a un prix, et même s’il est évident que certains choix sont contestables, c’est une attitude tout à fait décente. Un concert payant donc, ma foi, ça me semble justifiable.

Le rôle de Soundlicious

Là par contre, les choses ne sont pas très claires, d’autant que j’avoue ne pas avoir pris le temps de me renseigner auprès des personnes concernées. On m’a signalé au milieu des joutes verbales du forum de Nolife une salve de messages dénigrant Soundlicious pour les tarifs des entrées à ce concert, c’est un fait, assez élevés. Le summum : les packs Momusu à 130€, qui représentent à eux seuls un chiffre d’affaires de pas moins de 13000€. Le label ne nous avait pas habitués à une méthode aussi mercantile. Mais là encore, on ne pourra pas reprocher à une société de vouloir se faire de l’argent en donnant ce qu’ils veulent à une poignée de fans qui sont prêts à payer pour l’avoir, en tout cas tant qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Sur ce plan, Soundlicious n’étant pas Wasabi Records, j’ai personnellement toute confiance, donc passons…  D’autres messages rappellent, quoi qu’il en soit, que Soundlicious est une petite société qui galère, que c’est elle qui couvre les frais de la venue des Morning Musume (location de la scène de Japan Expo comprise), et que pour compenser toutes ces dépenses de façon à ce qu’il reste quelque chose à la fin, le prix des billets se justifierait pleinement. Un raisonnement raisonnable qui se tient…

…sauf si les informations que plusieurs personnes m’ont rapportées sont exactes : le lien entre Soundlicious et la SEFA dépasserait, paraît-t-il, le cadre d’un simple partenariat, puisque le bruit court que la SEFA aurait en fait racheté Soundlicious. Ce qui fournirait une explication logique au mystère que constitue la toute nouvelle capacité d’investissement du label : alors même qu’il a récemment perdu LM.C, la vache à lait qui lui permettait de joindre les deux bouts face aux résultats malgré tout décevants du reste de son excellent catalogue, comment Soundlicious peut coup sur coup s’offir VAMPS et les Momusu ? Sous cet éclairage, l’organisation de ce concert des Morning Musume prendrait en tout cas une autre teinte… Car Soundlicious servirait alors de miroir aux alouettes  : par son intermédiaire, la SEFA se louerait à elle-même la scène musicale, et maximiserait ainsi ses bénéfices ! Si tout ceci reste à mettre au conditionnel faute d’infos officielles confirmant ou infirmant ce rachat, il est clair que quelques éclaircissements seraient bienvenus…

EDIT : les messages privés fusent suite à ces hypothèses, aussi quelques éléments pour étayer un peu les hypothèses que j’avance. Après une petite recherche du côté des registres de greffe, la société SEFA Event aurait changé de domiciliation il y a peu pour s’installer à Noisy Le Grand, sous la forme d’une SARL unipersonnelle. La société Soundlicious aurait pour sa part été créée (Soundlicious n’était auparavant que le nom commercial de la société KOTENGU) pas plus tard que cette année, sous la forme d’une SARL (avec donc plusieurs associés, a priori), domiciliée… à la même adresse que SEFA Event à Noisy Le Grand. Conclusion : tout porte à croire que Soundlicious soit aujourd’hui une filiale, peut-être pas à 100% mais tout de même une filiale, de SEFA Event. Ce qui légitime donc les questions posées ci-dessus, que je n’étais manifestement pas le seul à me poser vu le nombre de messages que j’ai reçus ces dernières heures…

Le choix des Morning Musume

Non parce que, au final, ça reste l’info la plus importante. A titre personnel, il va sans dire que ça ne m’excite pas, bien au contraire. Moi qui ai longtemps lutté contre l’invasion Visual Kei, en justifiant mon combat par le fait de ne pas vouloir que la France devienne l’eldorado des has beens dont le public nippon ne veut plus, je vois venir de longue date une deuxième vague portant des cargos entiers d’idols pubères depuis trop longtemps. La venue d’AKB48 l’an dernier m’avait déjà conforté dans cette position, un peu prématurément d’ailleurs quand on voit le succès récent de ces jeunes filles au Japon. Mais pour le coup, les Morning Musume, je m’en serais bien passé. D’un point de vue purement objectif, le fait est que commercialement comme artistiquement, elles ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, et toutes les stars qui ont fait les grandes heures du groupe sont parties depuis belle lurette; je serais même curieux de savoir quel pourcentage de fans de Jpop français serait capable aujourd’hui de citer le nom de deux membres actuelles des Momusu…

Bref, je pourrais donc râler, mais ce ne serait pas juste dans la mesure où d’un point de vue strictement stratégique, ce choix est là encore justifiable. Le succès des AKB48 l’an dernier a démontré qu’il existe un public pour ce genre de groupes en France, et a même contribué à développer ce public. Par ailleurs, les artistes du Hello!Project continuent de bénéficier d’une bonne cote globale auprès des fans français, comme en témoignaient notamment les résultats des French J-music Awards 2010 où les MM accrochaient régulièrement les places d’honneur, et avec elles des formations comme Hangry&Angry. Dans un cadre comme celui d’une convention anime/manga dont le public est majoritairement situé dans une tranche 15-22 ans, les groupes d’idols sont sans doute l’un des meilleurs compromis pour ratisser une audience la plus large possible. Reste qu’après avoir pu assister gratuitement à deux concerts du groupe d’idols le plus populaire du moment en 2009, devoir payer cette année 27€ pour un concert des héritières insipides d’un groupe has been, ça reste en travers de la gorge…

J’ai pourtant beaucoup de mal à croire que les Morning Musume étaient le seul groupe de prestige à être prêt à se déplacer pour donner un concert à 27€ la place. Une légende urbaine raconte que les artistes se bousculeraient chaque année aux portes de Japan Expo, au point qu’il faille faire appel à des experts pour établir une préselection parmi laquelles les grosses têtes du festival trancheraient. Faut-il en déduire que cette légende est infondée ? Il me reste suffisamment de contacts parmi les pros nippons pour pouvoir dire que la JE reste très, très prisée, au moins sur le papier. Ce n’est donc clairement pas un problème de manque d’options, il s’agit d’un choix délibéré, qui s’est probablement fait sur les critères mentionnés ci-dessus… et celui de la négociation commerciale. Et c’est là que ça devient intéressant. Car quand on connaît la concurrence féroce que se livrent Tsunku / le Hello!Project d’un côté et les AKB48 de l’autre pour la conquête du monde, il y a fort à parier qu’il y ait eu un lobbying intense pour assurer la participation des Momusu à cette JE. Mon confrère Reyep pariait déjà il y a plusieurs mois sur la venue des MM en France cet été. Logique selon lui : les AKB48 étaient là l’an dernier, du coup les MM sont parties aux USA; et cette année les AKB48 partant pour l’Amérique, les MM ne pouvaient que se lancer à l’assaut de l’Europe… Pari remporté (si on peut dire) haut la main ! Sauf que si Tsunku tenait tant que ça à ce que les Morning Musume soient à l’affiche de la JE cet été, il est impensable que la SEFA / Soundlicious n’aient pas profité de l’aubaine pour négocier le tarif de la prestation à la baisse. Ce qui du coup nous ramène à la question de savoir si le prix assez élevé des places de concert est finalement bien justifié…

Et le reste…

Il est encore trop tôt pour donner une jugement définitif sur le reste du plateau musical de cette Japan Expo, puisque l’on ne connaît qu’une petite partie des invités. Pour le moment, c’est toujours aussi éclectique, mais sur le fond très pauvre : entre le guignol de manufacture franco-belge HITT, le pur produit manga-pop die!!die!!color!!! et ANIPUNK sur une cible similaire, il est clair que ce début de programmation cherche à ratisser le plus large possible parmi les thématiques ultra-commerciales qui touchent le public du festival. Commercialement bien vu dans l’absolu, artistiquement sans intérêt. Heureusement, reste l’exception SUIKA dont le retour en France est une vraie bonne surprise, une surprise que l’on doit d’ailleurs à Soundlicious. Et c’est bien la raison pour laquelle mon soutien à ce label reste intact, pour le moment. Ayant toute confiance en la passion avérée de la dirigeante du label comme de son staff pour la musique japonaise, je reste persuadé que leur volonté est de se donner les moyens de continuer à mettre en valeur leurs coups de coeur. Et je préfère voir Soundlicious renflouer ses caisses avec les Momusu ou même un rachat par la SEFA, puis utiliser ces recettes pour continuer à proposer de bons groupes moins connus en parallèle, plutôt que de voir disparaître faute de moyens le seul label honnête qui reste sur le marché.

A ce titre, je ne peux donc que me réjouir de voir Soundlicious prendre en mains l’organisation du concert de VAMPS à Paris l’automne prochain. Ce d’autant plus qu’à l’époque où VAMPROSE, le label de HYDE, recherchait un nouvel interlocuteur pour ne pas avoir à traiter avec les habituels gros tourneurs du marché (qui ont manifestement fait la démonstration de leur incompétence auprès des japonais ces dernières années), j’ai eu l’occasion de recommander à plusieurs reprises le nom de Soundlicious. Un concert Soundlicious reste, jusqu’à preuve du contraire, un concert bien organisé, où le fan service est de rigueur, et où la politique tarifaire reste honnête (attendons d’en savoir plus sur les Morning Musume avant de juger, et chapeau pour la superbe affiche de VAMPS en passant…). Et si le label a successivement perdu MUCC ou LM.C, lesquels ont succombé aux promesses de gloire de structures plus importantes, la signature de VAMPS démontre que la réputation qualitative de Soundlicious fait aussi son chemin…

J’attends en tout cas avec curiosité la suite de la programmation, ainsi que quelques éclaircissements sur le rôle de chacun !