Gangnam Style, le debrief (1/2) : les vraies raisons du flop de PSY au Japon

Un millard de vues et des broutilles sur Youtube, des centaines de reprises et parodies sur le web, une diffusion en boucle sur les chaînes de TV musicales du monde entier, trois NRJ Music Awards en France…  Avec son Gangnam Style, le chanteur coréen PSY a sans conteste offert à la Corée du Sud le plus grand succès médiatique international de son histoire. Après des mois et des mois de surmédiatisation, le phénomène s’essouffle enfin, et PSY peaufine actuellement son plan d’action pour tenter de faire mentir tous ceux, et ils sont nombreux, qui pensent qu’il restera la star d’un seul et unique tube. L’occasion de faire un petit debriefing à froid, qui comprendra deux parties. Tout d’abord, une question qui a fait fantasmer de nombreux media : pourquoi le succès mondial de PSY s’est-il confronté à l’exception notable du Japon, deuxième marché musical mondial et premier consommateur au monde de singles pourtant resté totalement imperméable à la danse du cheval ? Et puis bien sûr, quels enseignements tirer du phénomène Gangnam Style quant au potentiel de développement de la Kpop à l’échelle mondiale ?

Commençons donc par le sujet du marché japonais. Pourquoi donc, en dépit de son immense réussite mondiale, le Gangnam Style n’a pas su séduire le voisin nippon ? Nombreux sont les observateurs, pas forcément très éclairés, qui succombent à la facilité en expliquant cela par une forme de jalousie nippone sur fond d’incompatibilités d’humeur entre Soleil Levant et Matin Calme. Mais si cette théorie semble défendable de prime abord, la véritable explication est sans doute beaucoup plus simple (et beaucoup moins polémique) que cela. Et si les Japonais n’avaient tout simplement, sincèrement et légitimement, pas trouvé le moindre intérêt à Gangnam Style ?

Des arguments polémiques qui ne tiennent pas la route.

Tohoshinki

A l’heure où le développement de la Kpop à l’échelle mondiale est une véritable cause nationale pour la Corée du Sud, la question est d’une sensibilité étonnante. Certains observateurs estiment que les tensions historiques et les différends territoriaux qui caractérisent les relations actuelles entre le Japon et la Corée expliquent le désintérêt des media et du public nippon pour Gangnam Style. On peut certes s’interroger de certaines influences politiques sur la médiatisation de la Kpop au Japon, lesquelles ont notamment abouti à une absence très remarquée des artistes coréens lors de la traditionnelle émission Kouhaku Utagassen de fin d’année sur la chaîne publique NHK. Pour autant, rien ne permet d’affirmer qu’un quelconque sentiment anti-coréen explique le flop de PSY au Japon. Pour preuve, d’autres artistes coréens conservent en effet toute leur popularité auprès du public malgré la crise politique, à commencer par les Tohoshinki qui ont encore tout récemment pris la première place des ventes en écoulant 137.000 exemplaires de leur dernier single sur sa première semaine de commercialisation.

Autre argument évoqué par les observateurs peu informés : une guéguerre entre maisons de disques. Vexée par le fait que les droits internationaux de PSY aient été confiés à une filiale de sa concurrente Universal Music, la maison de disques japonaise avex trax, leader sur le marché japonais et détentrice des droits de PSY dans l’archipel, aurait sabordé la promotion de Gangnam Style au Japon. Théorie fumeuse s’il en est : les maisons de disques ont en effet déjà démontré à moult reprises leur capacité à collaborer lorsque des intérêts financiers communs sont en jeu. Ainsi EMI n’a jamais tenu rigueur à la popstar Hikaru Utada d’avoir rejoint Island / Universal pour sa carrière internationale (ce serait même plutôt la chanteuse qui s’en mord aujourd’hui les doigts, au vu de la promotion complètement ratée dont elle a fait l’objet pour ses travaux internationaux). Et surtout le même label avex trax ne semble pas s’offusquer plus que cela que la chanteuse coréenne BoA, qui fait partie de son écurie au Japon depuis ses débuts et a connu un succès certain, ait signé avec Arsenal, filiale d’Universal, pour coéditer son album américain. De toutes façons, le phénomène Gangnam Style étant avant tout né sur le web, ce n’est pas une hypothétique absence de promotion du titre qui allait empêcher les internautes japonais de se partager la vidéo sur Youtube. Or, contrairement au reste du monde, ils ne l’ont pas fait.

Jalousie et petites phrases

Bien sûr, le succès mondial de PSY a engendré une certaine jalousie au Japon, où les professionnels de la musique peinent à comprendre pourquoi les investissements réalisés pour percer à l’international n’ont jamais porté leurs fruits (nous sommes pourtant quelques spécialistes francophones à le leur expliquer régulièrement, mais ils semblent avoir beaucoup de mal à se remettre en question…). Le fait que le plus gros succès de la Kpop dans le monde soit un clip humoristique porté par un chanteur bedonnant n’a donc pas manqué de déchaîner les railleries sur le web nippon.

Les critiques émises par les internautes japonais ne sont toutefois pas toutes à mettre sur le compte de la mauvaise foi. Ainsi il y a quelques mois, un certain nombre de sites web nippons ont accusé Universal d’avoir fait exploser de façon automatisée, et donc frauduleuse, le nombre de visionnages du clip de Gangnam Style sur Youtube à l’aide de robots programmés à cet effet. Le président du Korea Wave Research Institute (Institut de Recherche sur la promotion de la vague culturelle coréenne, oui oui!) s’est ému de façon très agressive de ces allégations, les qualifiant d’outrage et de chamaillerie à peine digne d’une cour d’école primaire, avant d’enchaîner lui-même sur d’autres bassesses anecdotiques. Reste que fin décembre dernier, Youtube sanctionnait notamment Universal Music et Sony en soustrayant des centaines de millions de vues aux clips de leurs artistes, qui auraient fait l’objet d’un soutien automatisé. Difficile de croire que la performance incroyable de Gangnam Style n’ait pas fait l’objet de cette même méthode de promotion malhonnête, même si Youtube n’a jamais communiqué directement à son sujet : le record de Gangnam Style a servi autant les intérêts commerciaux de son auteur que ceux de la plateforme de vidéos, et il aurait été très contre-productif de le décrédibiliser…

« Une chanson disco sans originalité… »

La véritable raison pour laquelle Gangnam Style n’a pas fonctionné au Japon, elle est d’une évidence cuisante : les Japonais n’ont tout simplement pas aimé la chanson, ni même son clip. Dans un article du Mainichi Shimbun, repris par Courrier International, le journaliste Hiroshi Kawasaki explique que  « beaucoup de Japonais trouvent que le morceau en lui-même est une chanson disco sans originalité, et considèrent sa chorégraphie comme une simple caricature d’un cavalier sur sa monture. ». Sans originalité oui, et là encore, on ne peut pas accuser les japonais de mauvaise foi : ce genre de titres loufoques à la chorégraphie kitschissime est en effet, depuis de très longues années, une spécialité nationale au Japon. Et le fait est que le Gangnam Style n’a rien pour sortir plus du lot, aux yeux du public nippon, que la flopée de gags audiovisuels dont il est abreuvé chaque année.

En guise de démonstration, concluons avec un florilège de phénomènes médiatiques qui ont connu un succès plus ou moins probant ces dernières années sur le même terrain au Japon. Pour commencer, qui ne connaît pas Yatta, l’un des premiers mèmes du web, que l’on doit au groupe comique Happatai dont la chorégraphie ridicule en tenue d’Adam a fait le tour du web mondial il y a déjà plus de 10 ans !

 

Dans un genre similaire, l’ultime single du groupe YAEN Fish Fight a également fait beaucoup parler de lui à la même époque :

 

Les usines nippones à girls bands (Hello! Project en tête avec notamment les Morning Musume) et boys bands (Johnny’s Jimusho bien sûr) ne sont pas en reste, et livrent depuis une bonne quinzaine d’années leur lot de chansons déconcertantes; si la plupart restent très premier degré et ont de quoi laisser pantois, d’autres jouent de façon assumée la carte de l’humour et du ridicule, pour le bonheur des fans. On pourra ainsi citer une bonne partie de la discographie des débuts du duo masculin Tackey & Tsubasa (sans oublier, chez les filles, la danse de l’autocuiseur).

 

Le comédien et animateur TV Takashi Fujii, aperçu en 2003 dans le film Lost in Translation de Sofia Coppola, a également fait quelques incursions sur le marché musical avec notamment un mémorable Oh! My Juliet à prendre au 36ème degré. Produit par l’excellente Tomoko Kawase alias Tommy february6, elle-même à l’origine de nombreux délires musico-visuels hallucinés, le titre allie chorégraphie pathétique et paroles délicieuses (« Tandis que nous nous embrassions sous la boule à facettes, tu ressemblais à un petit chat ») pour un résultat cultissime.

 

Peut-être moins connu et pourtant très réussi, le duo formé par Tsuyoshi Domoto (du groupe Kinki Kids) et Taichi Kokubun (TOKIO) pour la promotion du film Fantastipo en 2005 a donné naissance à une chanson-titre réjouissante dans un registre disco-kitsch qui a fait son petit effet sur les plateaux TV des émissions musicales les plus populaires.

 

Autre duo, les WaT, deux minets à la voix nasillarde dont la chanson Tokimeki DooBeeDoo est un véritable monument kitschissime au pouvoir terroriste à peine croyable :

 

Et puis comment ne pas évoquer le très gros succès populaire de DJ OZMA, dont le premier single AGE! AGE ! Every KNIGHT a notamment fait beaucoup parler de lui en 2006-2007 avec ses prestations live dénudées (et un show qui a fait scandale au 57ème Kouhaku Utagassen) :

 

Parmi les autres représentants d’une recette que DJ OZMA a épuisé jusqu’à plus soif, citons également un single que Patrick Sébastien n’aurait pas renié : Sunjon et ses serviettes qui tournent. Histoire de boucler la boucle, précisons au passage qu’une bonne partie des succès de l’artiste sont en fait des reprises (nettement plus fun que les versions originales) de productions… coréennes.

 

Tout ceci n’est qu’une infime sélection au sein d’une production « riche » de centaines de titres du même genre, dont Kyary Pamyu Pamyu est, par exemple, l’une des plus récentes représentantes. Dans ce contexte d’une culture populaire déjà suralimentée en morceaux loufoques spécifiquement adaptés aux codes du public nippon, il n’est donc, finalement, guère besoin d’aller chercher plus loin pour comprendre pourquoi PSY et son Gangnam Style 100% coréen n’ont pas touché les foules au Japon. Toute tentative d’explication par quelque considération plus analytique que cela n’est rien d’autre que perte de temps et masturbation intellectuelle. C’est dit !

La suite :  Gangnam Style, le debrief (2/2) : quand le succès de PSY enterre le phénomène Kpop

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