Critique album : Heavenstamp – HEAVENSTAMP

Je ne compte plus les fois où, comme d’autres d’ailleurs, j’ai exprimé mon désarroi de voir les Japonais passer complètement à côté de certains trésors de leur production musicale. Trésors pourtant pas toujours planqués : le groupe Heavenstamp a ainsi fait l’objet d’une promotion respectable et de critiques élogieuses, mais le grand public semble n’en avoir cure, et a accueilli le premier album éponyme sorti il y a quelques semaines avec une indifférence tout simplement indigne. Pourquoi indigne ? Parce que les singles qui avaient précédé cet opus s’étaient distingués tant par leur charisme et leur personnalité que par leur inventivité et leur efficacité, laissant augurer d’un album d’une qualité exceptionnelle. Et le pire, c’est que l’album en question est plus qu’à la hauteur de ses promesses. Entré à une anecdotique 32ème place au top Oricon hebdomadaire, ce premier opus d’Heavenstamp s’est offert un petit tour de trois semaines dans les charts et puis s’en est allé. Face à une telle injustice, je ne peux que m’insurger, et je m’en vais donc vous expliquer pourquoi Heavenstamp est ma révélation musicale de l’année 2012 !

Pour commencer, permettez-moi de faire gagner un peu de temps à tout le monde en reprenant ici la présentation du groupe que j’avais rédigée pour accompagner la chronique du single Waterfall il y a quelques mois :

Heavenstamp, c’est son nom, est un quatuor formé en 2009 et composé de la chanteuse et guitariste Sally#Cinnamon, de Tomoya.S à la guitare, Shikichin à la basse et une fille, Mika, à la batterie. Après des débuts sur le label indépendant Goldtone Records avec notamment un EP intitulé Hype, Heavenstamp est rapidement signé par Warner Music Japan, qui voit en ce groupe une formation très prometteuse. Un premier EP sort en mai 2011, intitulé Stand by you, dans lequel le quatuor a les honneurs d’un remix signé 80KIDZ.La chanson-titre m’avait fait très bonne impression lorsque je l’ai découverte sur Youtube, complètement par hasard.(…) Le groupe possède un profil qui regroupe des qualités assez simples, mais dont la combinaison est finalement assez rare : un vrai son de groupe de rock indépendant, avec l’état d’esprit qui va avec, tout en étant porté par une voix facilement identifiable et donc commercialement exploitable, et des compositions à la structure relativement standard. J’en vois déjà afficher leur déception, et pourtant il n’y a vraiment pas de quoi. (…) Je lisais récemment sur Ongaku Dojo une présentation du groupe qui le comparait à Judy and Mary, et je ne peux que confirmer la pertinence de cette comparaison. Si toute la communication se prévaut d’influences exclusivement anglo-saxonnes comme The White Stripes ou My Bloody Valentine, il y a assurément dans les travaux d’Heavenstamp un héritage de ce groupe de rock mythique des années 90 (notamment connu pour le non moins emblématique générique Sobakasu de l’anime Rurouni Kenshin), tant dans l’interprétation de Sally qui rappelle les accents de YUKI (depuis partie dans une aventure solo que certains d’entre vous suivent de longue date) que dans les compositions et arrangements.

Sachez pour être aussi complet que possible que Heavenstamp semble maintenant évoluer en tant que trio, sans bassiste attitré. Ceci étant dit, rentrons sans plus attendre dans le vif du sujet !

Magic, chanson d’ouverture de l’album, donne le ton et permet en quelques secondes de se faire une idée du son de Heavenstamp : une résonance très forte, une ligne de basse très présente, une rythmique endiablée sur laquelle se déroule une déferlante de guitares métalliques à souhait, une bonne dose de distro, et une chanteuse à la voix perçante qui s’égosille avec brio en annonçant la couleur : « I WANNA ROCK YOU ». Ah ça pas de doute, c’est un pu*ain de bon album rock qui s’annonce, au moins autant dans son orchestration que dans son état d’esprit. Le single Stand By You confirme brillamment. En dépit d’une construction ultra-formatée pour les standards radio, c’est un énorme tube rock’n'roll dont l’intro ne paie pas de mine, mais qui vous embarque très vite dans sa rythmique funky à la faveur d’un refrain terriblement efficace et d’un espace sonore diablement rempli d’où les notes aigues de Sally émergent pour mieux vous porter vers le haut. Un peu plus loin Killer Killer décoiffe avec à peine 2mn11 menées tambour battant à coup de changements de rythmes et d’effets dans tous les sens. Déjà évoquée il y a quelques temps, Waterfall est un monument de ballade rock uplifting dont les couplets tout en douceur accouchent de refrains jouissivement haut perchés, tandis qu’un long pont éthéré nous conduit vers un final qui file la chair de poule. Et puis n’oublions surtout pas Hype, un monstre electro-rock très brut taillé pour le live dont l’intro vous embrase une salle de concert en 25 secondes chrono, tandis que les refrains braillent avec bonheur sur une énième vague de guitares apocalyptiques à vous faire languir de la fin du monde.

 

Mais réduire Heavenstamp a ses poncifs serait une énorme erreur : car si le groupe peut donner l’impression de tomber dans la facilité en donnant à l’auditeur ce qu’il attend, ce qui en fait la force est avant tout la qualité phénoménale de ses arrangements, bourrés de nuances, à l’image de l’interprétation de Sally. Et l’album regorge par ailleurs de titres qui donnent à la chanteuse et aux autres musiciens l’occasion d’exprimer la variété de leur palette. Ainsi Dreaming About You, rengaine pop-rock plus sucrée, voit Sally faire preuve d’un peu plus de légèreté, tandis que sa diction et ses accents adoptent une couleur kawaii typiquement nippone sur Loose, un morceau plus industriel où le gouffre stylistique est comblé par un effet mégaphone très bien trouvé. omega donne dans le post-rock planant avec un mélange de douceur et de solennité brillant, et l’on peut encore citer le très funky Stop! dont les couplets scandés laissent tout le loisir d’apprécier les qualités d’interprète de la chanteuse, décidément très versatile. Bref, inutile de cataloguer exhaustivement les 15 pistes du CD, il n’y a tout simplement rien à jeter !


Heavenstamp livre un premier album très réussi, qui se distingue par l’homogénéité du son et la cohérence de sa personnalité, tout en se révélant riche et varié. C’est un album rock, un vrai, ce qui est bien plus rare au Japon que ce que l’usage abusif du terme Jrock pourrait laisser croire, et bien plus rare encore à l’échelon major avec une voix lead féminine. Car bien sûr, le talent exceptionnel de Sally, subtile braillarde dans la digne succession de YUKI (Judy and Mary) et autres Cocco, est pour beaucoup dans les qualités artistiques comme dans l’efficacité du disque. Mais d’un point de vue global, c’est toute l’orchestration ainsi que le mixage qui se montrent vraiment réjouissants. J’évoquais Judy and Mary et Cocco, il y a également beaucoup du premier dans le côté un peu barré et l’énergie de certains titres, et beaucoup de la seconde dans l’atmosphère industrielle chargée à la résonance très marquée. Quoi qu’il en soit, ce mélange de tubes en puissance à l’efficacité redoutable et de titres plus alternatifs accouche d’un album bien rempli, sans doute l’un des plus aboutis du genre dans la production japonaise de ces dix dernières années. Alors voilà, les japonais, et beaucoup de japonisants aussi, sont passés à côté. Tant pis pour eux. Vous par contre, qui avez lu cette chronique jusqu’au bout… vous n’avez plus d’excuse !

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