Anim’Est c’est un peu mon bébé : je l’ai présidée, puis continué à y travailler pendant plusieurs années, notamment en y intégrant une composante J-music restée longtemps inédite en province, avec les visites de BOMB FACTORY en 2004, et 101A en 2006 en exclu française. Un choix de programmation assez audacieux dont je suis plutôt fier, ces groupes étant très peu connus, mais qui a payé grâce à l’aide colossale d’un staff passionné et ultra motivé, et surtout au talent et à  la générosité des artistes qui ont su se montrer accessibles  envers un public heureux d’avoir droit, pour une fois à sa part du gâteau. Imaginez donc la nausée quand j’ai appris que cette année Anim’Est accueillait… Lamia Cross et Retsugo !  De la « J-music » « française » à Anim’Est, c’est comme un morceau de lard bien gras roulé sous les aisselles au milieu d’une assiette de sushi, comme un onigiri au cassoulet, comme un thé vert à la Kronenbourg…

Anim’Est prend fin aux moments où j’écris ces lignes, et la fréquentation devrait encore une fois avoir battu des records. Je garde des souvenirs exceptionnels de cette convention, notamment grâce à l’ambiance excellente au sein du staff qui est pour beaucoup dans la popularité de l’évènement, à mille lieues des supermarchés géants parisiens. Depuis mon départ, la convention a fait du chemin, et en y passant ce week-end j’ai été bluffé par le travail des orgas, qui ont su capitaliser sur les fondations dont ils ont hérité pour aboutir à un résultat vraiment probant. Sauf sur un point : la musique. Ce pôle est resté à l’abandon faute de repreneur compétent, mais ça valait sans doute bien mieux que ce qui nous attendait cette année. Je ne blâmerai pas le nouveau staff, qui n’y connaissant rien a cru bien faire en acceptant ce qu’il a eu sous la main. Mais là vraiment, on touche le fond.

Je ne vais pas épiloguer sur la pertinence ou la légitimité de la récupération du terme « J-music » appliqué à ces groupes de fabrication française, le débat ayant déjà été mené plusieurs fois sans pouvoir aboutir à une conclusion réellement satisfaisante. Il y a des groupes japonais qui font de la musique ultra-américanisée, et à l’inverse des artistes occidentaux qui ont su s’inspirer de manière très convaincante de l’état d’esprit Jpop, si bien que chaque thèse a sa série de contre-exemples. Aussi pas de généralité ici, ni de procès en légitimité. Uniquement de l’étude de cas, sous la haute autorité de ma subjectivité omnipotente en ces lieux.

Lamia Cross. Putain quand même quoi, ils auraient pu me demander mon avis AVANT de signer… Bref. Lamia Cross, donc, par où commencer… Je n’en connaissais jusque là que l’image, déjà pas glorieuse, et pas non plus valorisée par le travail d’un graphiste amateur qui ferait bien mieux de se trouver un autre hobbie. La chanteuse ? Maquillée à la pelleteuse, boudinée dans sa mini-jupe et ses bottes de cuir immondes,  et servie enrubanée dans une ceinture avec un flot dans le dos. Ce fameux mélange gothico-traditionnel qui fait rêver tant de jeunes fans de Nana Kitade et autres Kanon Wakeshima. Passons, je sens déjà les rots revenir. Les guitaristes : bah, des quadras chevelus, l’un qui joue les comiques sympas avec de faux airs de Patrick Puydebat, l’autre qui joue les bad boys avec des grimaces-qui-font-peur-aux-enfants et des headbangs de star du rock dans une salle des fêtes de village. La crédibilité du second était d’ailleurs définitivement anéantie par son espèce de pantalon de toile floqué d’un dragon ultra-cheap comme on en trouve à 4€ sur les stands de tous les bons marchés du vendredi dans le 57. Je ne connaissais donc que l’image, j’ai découvert la performance scénique. Du « rock » « gothique » d’ »inspiration » « japonaise » le plus souvent « écrit » sur une simple boucle où viennent se superposer des guitares brouillonnes, des synthés piqués à Emile et Images et un chant monotone, sans nuance, sans puissance, et atrocement faux dès qu’il sort de la gamme de 4 ou 5 notes qui constitue l’amplitude maximale de la tessiture de la chanteuse. Pas grand chose à redire sur le guitariste sympa, qui s’en tirait presque avec décence en semblant prendre la chose au second degré. Son acolyte lui était juste complètement ridicule. Globalement, aucun charisme sur scène,  pas de transition entre les morceaux qui se ressemblent tous à un ou deux près, bref une prestation navrante.

Avis à charge me direz-vous ? Peut-être, mais il suffisait d’être dans la salle pour comprendre que cet avis était très largement partagé. Personne n’est mieux placé que moi pour parler des accueils exceptionnels reçus par les inconnus BOMB FACTORY et 101A en leurs temps, qui après leurs concerts avaient à leur grande stupeur écoulé l’intégralité de leurs stocks de CDs sur place. Et bien la dédicace de Lamia Cross a connu un succès tel qu’en 20mn d’observation je n’y ai pas vu passer une seule personne (sic). Mais Lamia ayant remercié au début du concert « tous les fans venus à la dédicace tout à l’heure », je suppose qu’il y a eu un rush au moment où je suis parti. Les gens avaient peut-être peur que je raconte à tout le monde qu’ils y étaient, et ont donc attendu mon départ, je sais pas… Toujours est-il qu’en dehors de quelques maigres applaudissements polis entre les chansons (Lamia a même dû les quémander à la fin de la première…), le public est resté amorphe. Tous ? Non: sur les quelques centaines de personnes présentes dans l’amphi à cette heure où il n’y avait plus grand chose d’autre à faire dans la convention, 5 étaient à fond tout le long. Et 14 ont marqué le rythme en frappant dans leurs mains au moins une fois. Une bonne centaine a quitté la salle au fil que les morceaux se succédaient. J’ai eu tout le loisir de les compter, je me faisais chier comme un rat mort, mais je voulais rester pour écouter Retsugo…

Avis à charge, dites-vous toujours ? Pourtant si j’admets être parti avec des a priori très défavorables, et si j’admets aussi que le cadre de la scène de l’amphi principal n’était définitivement pas l’idéal pour une prestation de ce genre, j’affirme être venu l’esprit ouvert. Et je le prouve en évoquant justement Retsugo, un groupe de metal assez hard composé d’un chanteur japonais et d’une bande de jeunes musicos chevelus, semblant tout droit sortis d’une quelconque boîte d’informatique bien de chez nous. Dès les premières notes du premier titre, j’ai compris que ce ne serait pas mon genre de musique. Mais objectivement, c’était d’un niveau infiniment supérieur, avec des musiciens concentrés et au niveau (mention spéciale au batteur, aussi jeune que convaincant) et une prestation vocale bluffante de la part du chanteur à la voix  impressionnante d’amplitude, de justesse et de tenue. Je n’ai pas demandé mon reste, mais ce n’était cette fois qu’une question de goût.

Sondage effectué à la sortie, Lamia Cross en a pris pour son grade, preuve d’une part que je ne suis pas trop de mauvaise foi, et d’autre part que le public nancéen n’est pas un public de moutons prêt à glorifier tout le peu qu’on lui donne. Ce qui, et je m’en félicite, ne fait que donner plus de valeur encore au carton de BOMB FACTORY et 101A en leur temps. Un peu avant de partir, j’ai couru à la recherche de mon actuel successeur à la présidence d’Anim’Est, avec la ferme intention de lui faire le coup du « je te l’avais dit ». Je l’ai trouvé dans les escaliers, déjà en train de sonder lui aussi les avis sur Lamia Cross, dépité. But the show must go on, et pour le reste, Anim’Est fut un très grand succès. Nul doute que cette erreur de casting aura apporté son lot d’enseignements pour les éditions à venir. J’y ai pour ma part passé un très bon moment, empli de nostalgie et du plaisir de retrouver, comme si c’était hier, ceux avec qui j’ai vécu cette chouette aventure. Merci encore à vous, et à bientôt !